LES ARMES DES COMANCHEROS

Traduction d’un article de W. AUSTERMAN paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1990

Comanchero ! Pour ceux qui vivaient le long des rives sauvages de la frontière du sud-ouest au milieu et à la fin des années 1800, ce mot-là évoquait autant une épithète remplie de haine qu’un nom définissant une certaine classe d’hommes. Pendant presque un siècle, les caravanes de chars à bœufs et de mules passèrent vers l’est depuis le Nouveau Mexique à travers les Staked Plains, les Plaines Jalonnées, pour atteindre les lieux de rendez-vous avec certaines des tribus d’Indiens les plus féroces du contient. C’est là, dans l’ombre de la faille lugubre d’un canyon ou le long d’un défilé sans nom taillé par l’érosion de la pluie, qu’ils échangeaient leurs marchandises contre des peaux de bison, du bétail, des chevaux, des mules ou des prisonniers Blancs. Courtiers en avidité et en misère humaine, les Comancheros exerçaient leur trafic sordide dans cette contrée sauvage avec la certitude arrogante d’hommes qui savaient que la force de la loi ne s’étendait pas plus loin que là où la poudre, les capsules et les balles rondes ne pourraient la porter. A l’époque où le métier de Comanchero atteignit son apogée dans les années qui suivirent la Guerre Civile, leurs rangs comptaient de tout, des Anglos renégats et des New Mexicains sans scrupules, aux Indiens Pueblo prêts à faire des affaires avec leurs anciens ennemis si le prix y était. Quelques Comancheros se contentaient de rencontrer les protagonistes sur leur propre terrain pour les ventes. D’autres chevauchaient avec les bandes de guerriers qui s’élançaient vers le Sud depuis les hautes plaines vers le Texas, ou bien par le Nord vers le Kansas et le Colorado, en prêtant leur intelligence de prédateurs à la férocité de leurs clients au fur et à mesure que ceux-ci choisissaient les cibles pour leurs raids. Tous les Comancheros vivaient littéralement grâce aux armes, et celles qu’ils utilisaient ou échangeaient constituaient les variations de leur commerce morbide. Il existe des traces aussi anciennes que 1780, où l’on retrouve des bandes d’aventuriers du Nouveau Mexique qui défiaient les prohibitions gouvernementales à rechercher les tribus des plaines à l’Est, pour leur commerce. Ces trafiquants acquirent une connaissance intime de la région ainsi que des meilleurs chemins à prendre pour traverser sa surface aride.

Vers l’été de 1810, des groupes de cinquante trafiquants, voire plus, rencontraient des Ute, des Kiowas et des Comanches avec la bénédiction du gouvernement provincial Mexicain de Santa Fe. Les autorités se rendaient compte que ce commerce pouvait servir de tampon très efficace aux incursions américaines en territoire Espagnol. Lorsque éclata la Guerre du Mexique en 1846, les chariots des Comancheros avaient tracé des sillons profonds dans la terre qui longeait la rivière Canadian, s’écartant et se perdant comme les brins d’une vieille corde cassée à l’intérieur d’un désert que CORONADO, trois siècles plus tôt, avait appelé « El Llano Estacado », les « Staked Plains », les plaines marquées de jalons. Un trafic important se faisait entre les Américains et Santa Fe depuis le début des années 1820, et les armes à feu étaient parmi les marchandises les plus convoitées. Le marchand du Missouri Albert SPEYER passa tout un lot de Fusils Mississippi Modèle 1841 en contrebande à Santa Fe, à la veille même de l’invasion américaine du Nouveau Mexique. D’autres armes suivirent avec les caravanes qui arrivaient dans le sillage de l’annexion américaine du territoire. On ne peut pas vraiment faire de documentation bien précise sur tous les types d’armes échangées avec les Indiens pendant la période précédant immédiatement la Guerre Civile, mais certaines marques d’armes étaient stockées tout à fait normalement à la fois par des marchands à jour de leur licence, et par des trafiquants illicites. Des fusils à silex ou à percussion fabriqués par des firmes comme Leman, Henry, Tryon et Deringer étaient largement distribuées dans les plaines aux alentours de 1850. Ces armes solides et précises constituèrent des produits de première nécessité pour les trente années çà venir. Ironiquement, après la Guerre Civile, le gouvernement des Etats Unis aida indirectement les Comancheros à prospérer. La vente de milliers d’armes en surplus à des prix cassés augmenta les inventaires des trafiquants à peu de frais pour eux. Ainsi, en Novembre 1867, l’arsenal de Fort Leavensworth mit 19 551 fusils à la vente publique en un jour, sans demander à tous ceux qui en voulaient d’où venait leur argent comptant. Un autre exemple typique fut la vente qui se tint à l’arsenal U.S. de San Antonio, Texas, en Janvier 1868, quand on mit sur le marbre 311 carabines Burnside à chargement par la culasse, 800 fusils rayés Enfield, 250 mousquets à canon lisse, 400 revolvers Colts et 81 revolvers Remington.

Les nouvelles armes arrivèrent vite aux mains des hostiles. En été 1866, le Lieutenant Colonel E.H. BERGMAN, officier commandant à Fort Bascom, New Mexico, commit l’imprudence d’emmener un détachement au cœur du territoire Comanchero dans un effort pour récupérer du bétail volé chez des fermiers. Utilisant deux Comancheros capturés comme guides, le Colonel atteignit un village Comanche situé presque à 250 miles au Sud-Est du poste. Il y avait 160 habitations dans le village, abritant au moins deux fois autant de guerriers. L’officier nota que chaque brave arborait un revolver à sa ceinture et « une grande partie d’entre eux était armés de deux pistolets. » Au moins la moitié des guerriers présents étaient soit des prisonniers Mexicains qui avaient grandi depuis l’enfance parmi les Comanches, ou des Comancheros Mexicains qui vivaient volontairement parmi les hommes de la tribu. Il s’en sortit sans combattre, mais il avait perdu. L’affluence des armes entraîna une recrudescence des raids, pas seulement vers le Texas et le Nouveau Mexique, mais aussi sur la Piste de Santa Fe. En Janvier 1867, un officier du 3ème. Infantry en poste à Fort Dodge, Kansas, remarquait : « Entre les ventes légales par les agents et les trafiquants, les Indiens n’ont jamais été aussi bien armés qu’aujourd’hui. Plusieurs centaines d’Indiens ont visité le poste, et tous avaient des revolvers en leur possession. Une grande majorité avait deux revolvers, et beaucoup d’entre eux en avait trois. Les Indiens ne cachent pas qu’ils ont plein d’armes et de munitions en cas de problèmes au printemps… Pour un revolver, un Indien donnera dix, voire vingt fois, le prix qu’il vaut, en chevaux et en fourrures. » Ce mois d’Août-là, apparurent encore plus d’armes de surplus lorsque les hostiles attaquèrent une caravane de chariots 160 miles à l’ouest de Fort Harker, Kansas. On rapporta que les braves étaient armés « de fusils Spencer, de Sharps, et de mousquets Enfield, et qu’ils avaient des munitions à foison. »Pour des raisons évidentes, les Comancheros ne gardèrent pas de suivi comptable de leurs ventes, mais quelques traces matérielles ont survécu pour nous indiquer quelles sortes d’armes à feu figuraient dans leur commerce avec les Indiens.

En 1976, le Llano Estacado Museum de Plainview, Texas, publia le rapport d’une fouille archéologique sur un site de trafic Comanchero. Situé au Nord-Est du conté de Floyd, Texas, le site était constitué de ruines de trois tranchées-abris surplombant Quitaque Creek, et un quatrième abri trouvé un quart de mile en amont. Les fouilles révélèrent que les tranchées avaient été creusées à l’origine sur une profondeur de quatre pieds dans le sol de la colline, et qu’elles avaient été surplombées de murs et de toits en troncs de cotonniers avec des branches recouvertes de peaux de bison. Mesurant 18 pieds sur 13 pieds, avec au milieu le foyer et le passage pour l’entrée, les structures contenaient une abondance d’artefacts, dont la plupart dataient de la période entre 1870 et 1880. L’une des tranchées contenait les restes de pas moins de quatre armes. La seule arme de poing parmi elles était un revolver à percussion Remington Modèle 1861 en calibre .44. Arme de poing militaire et civile couramment rencontrée sur la frontière, le Remington avait l’avantage de présenter une carcasse fermée qui le rendait plus solide que son rival le Colt. La possibilité de le faire fonctionner avec de la poudre en vrac, des capsules et des balles comme munitions constituait également un avantage, car les cartouches métalliques dont avaient besoin les revolvers plus modernes étaient souvent difficiles à trouver et toujours chères. Il a été facile d’identifier deux des trois armes longues restantes trouvées dans la tranchée. L’une était un fusil Modèle 1841 « Mississipi Rifle ». A chargement par la bouche, fonctionnant à percussion et en calibre .54, c’était l’arme réglementaire standard dans les régiments U.S. de fusiliers à cheval, de 1840 à 1861, et elle vit du service chez les Texas Rangers en plus d’avoir été une arme populaire chez les immigrants en route vers la Californie. Les garnitures en laiton et la platine jaspée du Modèle 1841, une arme déjà familière dans les Plaines du Sud au milieu des années 1850, en faisaient une pièce agréable pour l’œil d’un Indien. La grosse balle que l’on utilisait en 1841 était capable de mettre à terre tous les gibiers que l’on pouvait rencontrer dans la région. On trouva aussi une carabine Starr en .54, sans la crosse ni le fût, mais mécaniquement intacte lorsqu’on la sortit de la tranchée. Cette arme à chargement par la culasse, brevetée par Ebenezer STARR en 1858, ressemblait extérieurement à la Sharps, plus populaire. Son bloc de culasse articulé sur charnière permettait un chargement facile avec les cartouches en lin ou en papier que chambraient les 20 000 premières Starr du contrat passé avec le gouvernement. Ce premier contrat fut rempli entre Juillet 1863 et Décembre 1864.

Un supplément de 5000 Starr fut vendu au gouvernement U.S. de Mars à Mai 1865, chambrées pour la cartouche métallique Spencer de .56-52. La Starr que l’on trouva dans le site de Quitaque chambrait la cartouche du Spencer. Les Kiowas et les Comanches se familiarisèrent probablement avec la Starr suite à sa mise en service avec les 2ème. et 3ème. régiments de Colorado Volunteer Cavalry en 1864. Ces unités patrouillaient dans les plaines orientales du territoire. Les Starr de surplus ne tardèrent pas à trouver leur chemin dans des chariots Comancheros pour le trafic avec les Indiens. La dernière relique d’arme trouvée par les archéologues fut le canon d’un fusil des plaines à demi-fût, fonctionnant à percussion et du type Hawken ou Leman. Ce canon au calibre de .45 mesurait trente huit pouces de la bouche à la culasse, et un pouce et un huitième en largeur. Il n’avait en dessous qu’un seul support en laiton pour la baguette de chargement. Plus long à charger que la Starr, le fusil des plaines pouvait tout de même rapporter de la viande ou faire dresser les cheveux si nécessaire.

On trouva de nombreuses douilles de cartouches pendant les fouilles, et elles constituèrent les témoins de ce que les Comancheros utilisaient ou échangeaient comme autres armes. Parmi ces cartouches, on compta cinq douilles de .45-100 Remington à percussion centrale. « Il s’agit là d’une version plus courte de la Remington à douille bouteille de deux pouces et cinq huitièmes » nota l’archéologue, « et elle figurait au catalogue Sharps de 1873, tout comme la douille de .45 de deux pouces et quart. » De telles munitions furent probablement fournies pour des fusils Sharps pris sur d’imprudents chasseurs de bisons. On trouva également deux douilles de .50-70 Governement à percussion centrale. D’abord adoptée comme munition officielle pour les fusils et les carabines à chargement par la culasse Springfield utilisés par l’U.S. Army de 1866 jusqu’à 1873, la .50-70 s’utilisait aussi dans les fusils et des carabines Sharps convertis depuis le système à percussion, tout comme dans le fusil Remington Rolling-Block. La munition de .50-70 resta populaire sur la frontière, bien après le choix par les militaires de la cartouche .45-70 Government en 1873, qui lui était supérieure au point de vue balistique. Les douilles que l’on trouva dans les fouilles de Quitaque étaient toutes les deux du premier type, avec l’amorçage Benet, et faites en cuivre au lieu de laiton. On trouva cinq douilles de .56-50 pour les fusils à répétition Spencer dans les débris du camp. Les douilles en cuivre et à percussion annulaire étaient marquées « F.V.V. & CO. » Moins puissante que la .50-70, la Spencer était quand-même encore populaire chez les Indiens, les soldats et hommes de la frontière. De manière surprenante, une seule douille de .45-70 fut retrouvée. Trois autres douilles, plus grosses et que l’on ne put identifier, sortirent aussi du trou. Les douilles de cartouches pour armes de poing furent plus nombreuses. On trouva dix douilles pour revolver Colt en .45, mais les marquages du fabricant n’étaient sur aucune. On trouva aussi sept douilles de Smith & Wesson Modèle Russian en calibre .44. L’une d’entre elles était marquée « S&WR ». Conçus par la compagnie pour le contrat militaire russe, l’arme et la cartouche étaient toutes les deux disponibles sur le marché civil américain en 1878. Dans tous ses modèles à grande carcasse, le Smith & Wesson trouva des amateurs sur la frontière, grâce à son système à brisure et à éjection multiple. Ces caractéristiques en faisaient une arme plus facile à recharger que le Colt Modèle 1873 à carcasse monobloc. Quatre douilles de pistolet, fortement fragmentées et que personne ne put identifier, vinrent s’ajouter aux fouilles, en même temps qu’une paire de balles en plomb de calibre .54. Dans les deux cas, il s’agissait de projectiles en plomb pur, à base creuse et à deux gorges de graissage, les marques de six rayures étant encore visibles sur l’un d’eux, aplati à l’impact lorsqu’il avait été tiré. On trouva également deux balles de plomb rondes en calibre .50, déjà tirées et aplaties. Les quatre balles tirées furent retrouvées dans la même structure, l’une d’entre elles ayant fini sa trajectoire dans la salle principale, les autres dans le passage servant d’entrée. Cela peut signifier, soit que les anciens résidents étaient très imprudents en manipulant leurs armes, soit qu’une bataille rangée a éclaté entre des gens à l’intérieur de la cabane. Trois amorces à percussion et dix grandes amorces pour armes d’épaule vinrent compléter la liste des objets touchant de près ou de loin les armes à feu, signifiant que les armes à percussion continuaient à être populaires dans le commerce. Les reliques mises à jour dans le site de Quitaque Creek ne représentent seulement qu’une minuscule fraction des armes et des munitions échangées ou utilisées par des Comancheros ne fréquentant qu’un seul des nombreux sites analogues au Texas et au Mexique de l’Est.

L’un des étudiants intéressé par le trafic que pratiquaient les Comancheros, a localisé et expertisé pas moins de treize de ces points de rendez-vous dans un rayon de mille miles autour de Tucumcari et de Fort Bascom, New Mexico. De nombreuses reliques ayant trait aux armes à feu furent aussi retrouvées dans ces sites-là. Parmi elles, la collection classique de douilles de cartouches, de capsules, et de projectiles, en même temps que les restes d’un fusil de chasse double à canon scié, trouvé dans un site à seulement quarante miles du fort. Les armes illicitement fournies aux Indiens et provenant des râteliers des postes de l’armée n’étaient pas rares. Les Comancheros payaient de bonnes sommes pour des armes d’ordonnance, et il existait des soldats qui avaient toujours besoin d’argent liquide. Il s’ensuivit toute une épidémie de vols d’armes. En faisant l’inspection de sa compagnie de cavalerie en Janvier 1866, un officier de Fort Union, New Mexico, se rendit compte qu’il manquait cinquante cinq revolvers à percussion Remington en calibre .44. Les armes, qui coûtaient 12,00 $ la pièce au gouvernement, partaient à 50,00 $ la pièce sur la frontière. Au Texas, les vols d’armes atteignirent de telles proportions qu’au mois d’Août 1866, le War Department fut obligé de publier la circulaire General Order N° 65, qui disposait : « Dans l’état du Texas, le prix de leurs armes sera déduit de la paie des hommes engagés qui se débarrassent ou qui perdent leurs carabines Spencer, ou les revolvers Army Colt ou Remington, à raison de cent dollars l’unité pour les premières et cinquante dollars pour chacune des deux autres. » Les déserteurs, eux aussi, furent une source possible d’armes de contrebande. En Février 1867, le « Army & Navy Journal » rapportait que cinquante hommes du 3ème. Cavalry avaient déserté en masse de l’un des postes du Kansas, « …emportant avec eux chevaux, carabines, pistolets et munitions, dans l’intention probable de passer par le Nouveau Mexique avant de se disperser à travers la Californie. » A cette époque, le 3ème Cavalry était armé de carabines Sharps et Spencer, ainsi que de revolvers Colt et Remington. Les déserteurs en route vers la Californie purent très bien avoir trouvé de bon preneurs pour de telles pièces dans le Nouveau Mexique oriental. Les Indiens ne cachèrent jamais leur intérêt pour les armes. Le chef Kiowa Lone Wolf, Loup Solitaire, se présenta effrontément à une conférence de paix en 1871 à Fort Sill, Territoires Indiens, tenant fermement dans chaque main une carabine Spencer de contrebande.

Par la suite, le Général William T. SHERMAN écrivit au commandement de Fort Leavenworth, Kansas : « Je constate maintenant que beaucoup de ces assassinats et ces déprédations ont été faits par des Indiens de cette réserve, et qu’il existe un système pour échanger vers le Kansas et le Nouveau Mexique les chevaux et les mules volées, contre des armes et des munitions, car ces bandes de maraudeurs se promènent partout avec des carabines Sharps ou Spencer et des fusils Henry, et elles sont approvisionnées avec des cartouches ad hoc. » Le trafic Comanchero fleurit à partir de la Guerre Civile. En 1871, le journal « Daily New Mexican » estimait que plus de 30 000 têtes de bétail avaient été menées vers l’intérieur du territoire par les Comanches pendant les trois mois précédents. L’éleveur Texan Charles GOODNIGHT, lui-même victime de vols de bétail par les Comancheros, estimait qu’en deux ans seulement, 300 000 bovins et 100 000 chevaux avaient été volés dans son état pour entretenir ce genre de commerce. Les déprédations continuaient en une chaîne sans fin d’épanchements de sang et de vols, au fur et à mesure que les armes arrivaient aux mains des Indiens. En Janvier 1869, « environ une centaine de guerriers armés chacun de deux six-coups et d’un fusil Spencer… » attaquèrent le village de Gatesville au Nord d’Austin, tuant dix colons et emmenant plusieurs femmes et enfants pour les vendre plus tard aux Comancheros. Le mois de Mars suivant, le Consul des Etats Unis à Piedras Negras, Nouveau Mexique, écrivait que les Indiens faisaient des échanges en pleine ville, « bien armés de carabines Spencer et de revolvers. » En Avril 1873, un journal du Texas relatait une bagarre récente près de Camp Colorado, où une douzaine de braves, armés de Spencer, avaient défié les colons. Ce mois d’Août-là, quinze Comanches, armés de fusils « Winchester, Henry et Spencer », se heurtèrent à la milice locale au cours d’une bataille acharnée en haut de Packsaddle Mountain, la Montagne de la Selle de Bât. Toutefois, vers le début de 1873 et à cause du vigoureux harassement par les militaires, le commerce des Comancheros commença à décliner. Les Comancheros plus ardus répondirent en traçant leurs pistes à chariots plus au Nord de la rivière Canadian et un marchand effronté, Juan PIEDA, lança un défi public à l’Armée, mettant les troupes en demeure de l’attraper si elles le pouvaient.

Il y avait encore de l’argent à faire dans le commerce, mais les conditions changèrent rapidement au fur et à mesure que les Blancs pénétraient dans les Staked Plains en nombres de plus en plus grands. Les équipes d’experts et de géomètres, envoyés là pour un projet de ligne de chemin de fer, écumèrent le Llano avec des gens qui n’étaient là que provisoirement mais avec leurs Winchesters, et à partir de l’été 1874, les chasseurs de bisons éliminaient les grands troupeaux qui y paissaient encore. En voyant leur patrimoine menacé par la disparition des bisons, les Kiowa, les Comanche et les Cheyenne du Sud se rassemblèrent dans une tentative désespérée de repousser les intrus hors de leurs territoires de chasse. A la fin de Juillet 1874, des centaines de colons avaient été tués dans la Cimarron Valley, et même près de Fort Bascom, comme les raids s’étendaient vers l’intérieur du Nouveau Mexique. Au mois d’Août, on préparait une grande campagne contre les Indiens, la Red River War, la Guerre de la rivière Rouge, avec cinq colonnes de soldats qui sortirent des postes du Texas, du Nouveau Mexique, du Kansas et du Territoire Indien, pour attaquer les hostiles sur le terrain. Après une avance forcée, ces colonnes convergèrent en amont de la Rivière Rouge et dispersèrent ou forcèrent à se rendre la plupart des bandes fugitives. A cette époque, quelques Comancheros virent la fin de leur commerce se rapprocher de plus en plus et l’abandonnèrent pragmatiquement pour s’enrôler dans l’Armée comme éclaireurs contre leurs anciens clients. On continua à se livrer des batailles sporadiques et mineures, contre des braves défiant tout le monde, même après que les tribus fussent enfermées dans leurs réserves. En 1880, une compagnie de Texas Rangers, sous le commandement du Capitaine George W. ARRINGTON, intercepta un groupe d’Indiens Pueblo Comancheros qui traversaient les Staked Plains pour se rendre vers un lieu de rendez-vous. Les Rangers confisquèrent leur chargement d’armes, qui consistait en« principalement des fusils Spencer et des cartouches à percussion annulaire », se rappela l’un des hommes de loi. Le CapitaIne ARRINGTON relâcha les Pueblo en les prévenant que si jamais il les retrouvait à nouveau sur ce territoire, il leur ferait tirer dessus à vue. Il ordonna ensuite à ses hommes d’enterrer les armes et les munitions près de leur camp. L’auteur ne dit pas si les Comancheros ont, ou n’ont pas, surveillé les Rangers de loin pour voir ce qu’ils faisaient avec leur came, puis s’ils sont revenus en douce pendant que les Rangers étaient partis, pour déterrer les caisses et les récupérer. Sûrement ont-ils laissé tomber, peut-être parce qu’ils avaient trop les foies. Quelque part dans le Llano Estacado, au Nord du vieux Fort Elliot, reposent les restes rouillés des vestiges d’un vieux trafic qui fit baigner la frontière du Sud-Ouest dans un bouillonnement de sang pendant des générations. Dis-moi juste où elles sont, ces caisses, et je m’en vais te les chercher, moi, ces Spencers et leurs cartouches ! Les armes portées et vendues par les Comancheros avaient été d’un côté les instruments d’efforts sordides de gens qui recherchait la richesse, et de l’autre ceux du combat désespéré d’un peuple fier qui refusait de se faire balayer par une marée de civilisation Blanche.

A la fin, les rêves et les espoirs qu’on avait tant défendus jusqu’au sang avec le trafic des armes, furent délaissés avec le même aspect qu’une douille pour Spencer que l’on vient de tirer, c’est-à-dire brûlée, sale et vide. Aujourd’hui, l’herbe a repoussé depuis longtemps sur les pistes tracées par les chariots des trafiquants, pendant que les vieux os des guerriers morts se sont réduits en poudre et se sont mélangés avec la poussière qui chevauche le vent par dessus le Llano Estacado. N’oublions pas le cactus et le vautour posé dessus.

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