LES ARMES DES PALADINS GRIS

Traduction d’un article de W. AUSTERMAN paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1993

La Guerre Civile fut le dernier conflit américain où l’on attendait des officiers supérieurs qu’ils mènent leurs hommes à la bataille en chargeant à leur tête. Il n’était pas rare de voir des commandants de brigade, de division ou même de corps dans les deux armées, agitant un sabre étincelant à l’avant de leurs unités. Les troupes Sudistes furent particulièrement remarquées pour leur élan et leur courage, voire leur témérité, au feu. Leurs meneurs reprenaient nécessairement le vieil idéal Anglo-Celtique du chef guerrier qui se battait en même temps que ses hommes et qui partageait leur destin. C’est pour cela que les tristes champs de bataille de Gettysburg et de Franklin résonnèrent d’échos de Hastings et de Flodden. Le résultat tragique de cette croyance au vieux code du chef qui fonce au combat devant ses hommes fut que, sur 425 officiers supérieurs enregistrés sur les listes des forces Confédérées, 235 d’entre eux, soit 55 %, furent tués ou blessés au champ d’honneur. Soixante dix sept d’entre eux moururent en combattant, et, sur ce total, vingt et un furent blessés au moins une fois avant de l’être mortellement. Sur les 158 généraux qui furent blessés et qui survécurent, trente et un furent touchés deux fois, dix huit trois fois, et une douzaine furent blessés quatre fois ou plus. Quatre d’entre eux furent blessés cinq fois, et trois portaient sept blessures. Le record fut probablement le cas du Brigadier General William R. COX qui, à la fin de la guerre, portait les cicatrices de onze blessures de guerre sur son corps de trente trois ans.

Les armes que portaient ces paladins Gris étaient importantes, autant comme symboles de rang et comme arbitres de différend avec l’ennemi. Bien que ce type de rencontre ne fût pas ce que l’on attendait de la part de ces officiers supérieurs, ils se sentaient obligés de montrer l’exemple en matière de courage et d’agressivité, en prouvant leur indifférence au danger sur le champ de bataille. Il en résultat un groupe de commandants dont le choix des armes personnelles fut aussi diversifié que leur habileté à s’en servir fut mortelle. Dans l’ensemble, les officiers Confédérés furent des hommes relativement jeunes, mais beaucoup avaient déjà vu le combat lors de la Guerre du Mexique ou sur la frontière. Beaucoup de ceux qui se plongèrent dans la Guerre de Sécession depuis la vie civile avaient été exposés au combat personnel sous la forme de duels ou de rencontres similaires. De jeunes généraux tels John Hunt MORGAN avaient déjà vu des hommes piqués au bout d’une pointe de lance à Buena Vista, et Nathan Bedford FORREST s’était une fois battu tout seul contre une foule qui voulait le lyncher, dans la ville sauvage de Memphis. Chasseur et planteur de Caroline du Sud, Wade HAMPTON avait tué pas moins de quatre vingt ours avec seulement son couteau. Un jour qu’il était en patrouille sur le Territoire de New Mexico dans les années 1850, l’ancien Lieutenant du U.S. Regiment of Mounted Riflemen William H. JACKSON abattit un grizzly d’un seul coup de sabre. Le général Albert Sidney JOHNSTON se rappelait un duel dans lequel il s’était battu contre un autre officier alors qu’il commandait la toute petite armée régulière de la République du Texas dans les années 1830. Le Brigadier General Pierre G.T. BEAUREGARD, commandant le bombardement de Fort Sumter, et le General Joseph E. JOHNSTON, autre prénom, il y en a donc deux, acquirent leur gloire de commandeurs des forces Sudistes à la bataille de Manassas en Juillet 1861, première grande action terrestre de la guerre. Par la suite, BEAUREGARD occupa plusieurs commandements régionaux sur les théâtres de l’Est et de l’Ouest, alors que JOHNSTON resta à la tête de l’Armée de Virginie jusqu’à ce qu’il fût blessé au combat à Seven Pines au printemps de 1862. Plus tard, on lui confia le commandement de l’Armée du Tennessee de 1861à 1864, et à nouveau en 1865. JOHNSTON fut remplacé à la tête de l’Armée de Northen Virginia par Robert E. LEE. LEE et JOHNSTON avaient servi respectivement comme Lieutenant Colonel et Colonel à la tête du 2nd. U.S. Cavalry, créé en 1855. Les deux hommes avaient beaucoup servi sur la frontière au Texas contre les Comanche, les Kiowa, et les Apache. Des durs, des durs, rien que des durs…

Tous les deux avaient choisi des revolvers Colt comme armes personnelles. JOHNSTON reçut son revolver de Samuel COLT, qui lui en fit cadeau juste avant la guerre. COLT offrit au cavalier un Model 1860 Army en calibre .44, au numéro de série 2252, une arme sur laquelle on pouvait monter une crosse pour la transformer en carabine. Elle est exposée dans la collection du Musée de la Confédération à Richmond, Virginia.

LEE, quant à lui, était propriétaire de deux Colt de différents modèles. Il acheta, ou on lui offrit, un Model 1851 Navy en calibre .36, fabriqué en 1855. Cette arme, portant le numéro de série 37698, est finement gravée sur le canon et la carcasse, et fut portée pendant toute la guerre dans une fonte. Bien que LEE fût connu pour son agressivité et son empressement à mener ses hommes en personne en cas de coup dur, personne n’a jamais dit ou écrit qu’il avait sorti ce Colt pour s’en servir au combat.

LEE possédait également un revolver de poche Colt Root Model 1855. Il n’y a aucun doute que ce petit pistolet servait d’assurance en cas de capture, pour l’homme qui fut probablement le chef le plus important chez les Confédérés.

BEAUREGARD, un Créole de Louisiane, préférait le revolver Le Mat Français. On le comprend, puisqu’il était partenaire avec le Dr. Jean Alexandre François Le MAT et le Dr. Charles F. GIRARD dans l’entreprise Parisienne qui fabriqua l’arme.

Ces revolvers à neuf coups, dont les Confédérés en achetèrent environ 1500 exemplaires, étaient principalement fabriqués en calibre .42, et possédaient un deuxième canon en calibre .63 que l’on pouvait charger avec de la chevrotine, séparé sous le canon principal. Ce deuxième canon transformait l’arme en fusil de chasse miniature pour le travail à courte distance. Le pistolet Le Mat de BEAUREGARD fut acquis pendant la guerre.

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Le Major General James Ewell Brown STUART, dit « Jeb » STUART, était un autre amateur de Le Mat et fut l’un des personnages les plus romantiques parmi les Sudistes. On raconte que STUART tenait en main son revolver Le Mat, qui porte le numéro de série 115, lorsqu’il fut blessé mortellement par un cavalier du Michigan à Yellow Tavern le 12 Mai 1864. Le Major General James Patton ANDERSON de l’Armée du Tennessee, portait un Le Mat. Chirurgien pratiquant au début de la guerre, il entra au service comme Lieutenant Colonel et gagna sa première étoile en Février 1862. ANDERSON, qui était déjà un chef de Brigade et de Division agressif en 1864, fut sévèrement blessé lors de la campagne d’Atlanta, mais il était présent au moment de la reddition de l’armée en Caroline du Nord. Le revolver Le Mat d’ANDERSON, au numéro de série 475, survécut à la guerre et il peut être vu au Musée de la Confédération.

Le General Thomas Jonathan « Stonewall » JACKSON posséda au moins trois armes sur lesquelles on peut commenter. A l’époque où il était professeur au Virginia Military Institute, ou plus tard sur le terrain, il fit l’acquisition d’une paire de revolvers Anglais Adams en coffret. Ces jolies pièces d’armurerie à double action étaient populaires dans le Sud depuis le milieu des années 1850, et immédiatement disponibles dans certaines villes Sudistes chez les agents importateurs des sociétés Anglaises.

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La bataille entre les inconditionnels des revolvers Adams et ceux des Colt est bien connue. Il y eut plusieurs versions du revolver Adams à double action. Les unes sont chambrées au calibre de .36, les autres en .44, la version commercialisée par Deane, Adams & Deane ne possédant pas de crête de chien. La Massachussetts Arms de Chicopee Falls, Ma., fabriqua environ 1 000 de ces revolvers sous licence pour Adams en calibre .36 à 5 coups.

En 1862, les officiers de JACKSON lui offrirent également un revolver Le Faucheux fabriqué en France. Cette arme à percussion à broche de calibre 12 millimètres, finement gravée, respirait l’ostentation Gauloise et fut loin d’être celle que JACKSON, ce Calviniste taciturne, aurait choisie lui-même. Il y a fort peu à parier que le Adams et le pistolet français aient été portés dans ses fontes, mais il doit avoir préféré le revolver Le Faucheux comme preuve de l’estime de ses subordonnés. Sans aucun doute moins populaire comme arme de combat que le Adams ou le Colt, le revolver Le Faucheux de JACKSON survécut à la guerre et entra dans la collection du Musée de la Confédération. Le Brigadier General Turner ASHBY, l’un des officiers subalternes de JACKSON, possédait trois revolvers. En tant que commandant de la cavalerie de JACKSON, ASHBY servait son chef aveuglément et jusqu’au bout des ongles. Courageux jusqu’à l’extrême et combattant téméraire, ASHBY considérait la guerre comme une espèce de chasse au renard, où les Yankees jouaient le rôle du renard. Son Colt Dragoon en calibre .44 était épaulé par une paire de Colt Navy Model 1851 en calibre .36. Il est probable qu’il avait en main l’un des Colt lorsqu’il fut abattu le 6 Juin 1862, près de Harrisburg, Virginia.

Wade HAMPTON se trouvait à la tête d’une division du corps de STUART avant que celui-ci ne fût tué, et il devint chef de la cavalerie de LEE. On sait que le Président DAVIS offrit à HAMPTON un pistolet de selle à percussion à deux canons superposés, fait par STAUDENMAYER en Angleterre. Ce pistolet fut l’un de ceux qui avaient été portés par DAVIS au cours de la guerre du Mexique. Sur le terrain, HAMPTON portait un revolver d’une marque inconnue, et il l’utilisa beaucoup. Après la guerre, l’un de ses amis lui demanda combien de Yankees il avait personnellement tué lors des batailles. HAMPTON réfléchit un moment, puis répondit que le total s’élevait à onze. « Et les deux de Trevilian ? » répliqua l’homme. « Ceux-là, je ne les compte pas » dit HAMPTON « Ils étaient en train de courir. » Il n’avait pas compté non plus les Tuniques Bleues qu’il avait seulement blessés. Au cours de la campagne de Gettysburg, HAMPTON abattit à 125 yards et avec son revolver un Yankee armé d’une carabine. Les deux hommes échangèrent plusieurs coups de feu jusqu’à ce que la carabine du soldat s’enrayât. Chevaleresque, HAMPTON cessa le feu jusqu’à ce que l’autre arme pût à nouveau tirer, et termina l’affaire en envoyant une balle dans le poignet du Bandeau Jaune. Merde ! A 125 yards, ça fait quelque chose comme 115 mètres. Avec un revolver de type Colt où le guidon conique est censé s’aligner dans une échancrure en « V » découpée dans le chien, c’est-à-dire avec des organes de visée rudimentaires, le type en face devait être bien visible. En tous cas, c’était un manche s’il n’a pas pu descendre le gégène avant avec sa carabine, et s’il a pris un pélot dans le poignet, c’est bien fait pour lui.

John Hunt MORGAN s’en vint en guerre comme capitaine de milice en 1861 et, en deux ans, se retrouva à la tête d’une brigade. MORGAN était propriétaire d’une paire de Colt Army Model 1860 en calibre .44, gravés et aux plaquettes de crosses en ivoire, ainsi qu’un Colt Navy Model 1851 en calibre .36. Au début de la guerre, il portait, et se servait, d’un fusil de chasse. Un jour, MORGAN et quatre hommes de troupe mirent toute une compagnie de cavalerie de l’Union en déroute, par une attaque en embuscade qui fut pertinemment exécutée. Bien que ses hommes fussent armés plus tard presque exclusivement de fusils Enfield courts, MORGAN ne perdit jamais foi dans l’efficacité d’une charge de cavalerie menée avec des revolvers qui crachant autant de plomb et de feu qu’ils pouvaient le faire.

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Le Brigadier General Henry H. SIBLEY, un vétéran du service sur la frontière avec le vieux 2nd. Dragoons, mena une brigade de régiments montés Texans dans une invasion qui tourna mal, vers le Territoire du Nouveau Mexique au début de 1862.

SIBLEY possédait un Whitney en calibre .36, superbement préparé en coffret, mais il est peu probable qu’il eût pu toucher quoi que ce soit avec puisqu’il fut rarement à jeun pendant toute cette campagne désastreuse à travers le désert. A la fin de l’expédition, les chefs écœurés de son régiment espéraient qu’il retournerait le Whitney contre lui avant d’accepter un poste de général dans la Confédération.

Les Texans adorateurs de Colt avaient un bien meilleur chef en la personne du Brigadier General Ben Mc. CULLOCH. Un vétéran de la Guerre du Texas pour l’indépendance en 1836 et ancien Ranger sur la frontière, Mc. CULLOCH se vit offrir le 1er. Janvier 1848, par Samuel COLT en personne, l’un des premiers modèles de production du revolver Dragoon de 1848. Le pistolet, au numéro de série 1337, lui servit pendant plus de dix ans avant qu’il fût engagé dans les forces Confédérées. Parmi les unités sous son commandement, on trouvait la Compagnie A du 3rd. Texas Cavalry, armée exclusivement de revolvers et de carabines à répétition Colt. Mc. CULLOCH arborait un uniforme de velours noir et portait son Colt à la ceinture. Il fut tué par un tireur d’élite de l’Union, alors qu’il menait la charge à Pea Ridge, Arkansas, le 7 Mars 1862.

Le Major General David E. TWIGGS, auparavant colonel du 2nd. Dragoons pendant le Guerre du Mexique, reçut de Samuel COLT l’un des premiers revolvers Model Paterson, à un moment de sa carrière dans l’ancienne armée. L’âge et la maladie l’empêchèrent d’occuper une place active sur le terrain, et il mourut pendant l’été de 1862, laissant son rare Paterson à la postérité. Le choix du General Joseph WHEELER fut curieux. Il préféra un revolver Savage-North en calibre .36. Avec sa carcasse bizarre, piquant du nez, et son drôle de chien sur le haut, le Savage-North était à la fois gauche d’aspect et peu commode à manier. Il a du faire l’objet de quolibets chez les soldats aguerris de WHEELER, qui préféraient des Colt et des Remington capturés sur l’adversaire. Mais ce Savage-North servit très bien au général, puisqu’il survécut à de nombreuses rencontres avec l’ennemi. Au Tennessee entre Novembre et Décembre 1862, WHEELER fut personnellement engagé dans pas moins de vingt escarmouches avec les troupes de l’Union. Ces actions forcèrent d’ailleurs le General Braxton BRAGG à le réprimander officiellement pour s’être « exposé inutilement ».

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« Saignant horriblement du nez », le revolver Savage-North, breveté en 1856 et tirant 6 coups de calibre .36, fut amélioré en 1860. Le levier entourant la queue de détente servait à armer le chien avec le médius si le tireur ne voulait pas se servir du pouce. Il permettait surtout le tir rapide, pratiquement en double action, mais on imagine facilement ce que cela pouvait donner en matière de précision. Le Third Model de la première version, à gauche, fut fabriqué à 400 exemplaires, et la dernière version, à droite, le fut à 11 984 exemplaires.

Nathan Bedford FORREST, le Texan du 8th. Texas Cavalry, était encore plus agressif que WHEELER. A l’été 1861, il se mit à rassembler un bataillon de cavalerie pour l’enrôler dans la Confédération. Se glissant en Kentucky neutre, il acheta 500 revolvers pour ses hommes. Les types de pistolets qu’il se procura demeurent inconnus, mais on dit que FORREST porta une paire de Colt Navy Model 1851, du début de la guerre jusqu’à la fin. FORREST se trouvait constamment sur la ligne de feu et vingt neuf chevaux furent tués sous lui. Avec l’habitude qu’avait FORREST de rester dans le feu de l’action, les canons de ses revolvers étaient toujours chauds. Plusieurs incidents illustrent son goût du combat personnel. A la fin de Décembre 1861, FORREST menait une attaque contre la garnison Nordiste de Sacramento, Kentucky, lorsqu’il se retrouva en face de trois Tuniques Bleues agitant leur sabre. Une balle de pistolet déchira le collier de la veste de FORREST, marquant son cou. Il renversa l’un des soldats de sa selle en lui expédiant une balle, et se retourna pour affronter les deux autres attaquants. « Il abattit le premier avec un coup de feu, et sabra les deux autres » écrivit plus tard son biographe, Robert Selph HENRY. FORREST s’extirpa d’une autre situation difficile à coups de pistolets, au mois d’Avril suivant à Shiloh, y récoltant une blessure qui aurait tué beaucoup d’autres hommes. Ce ne fut pas avant des semaines plus tard, pendant lesquelles il était resté sur le terrain à se battre, qu’il consentit à ce que la balle de mousquet fût extraite de sa blessure, et même alors, on l’opéra sans anesthésiant. Juste un grand coup de gnôle dans le gosier, suivi d’un petit coup de maillet sur le crâne, immédiatement et adroitement administré. Un mal en chasse un autre, et si le gégène a mal à la tête après l’opération, on lui dira qu’on n’avait pas les moyens d’acheter de la bonne gnôle, parce que le fric, on l’a dépensé pour acheter des Kalach’s. Le Brigadier General James DEARING quitta l’Ecole des Cadets quand la Virginie se sépara de l’Union, et il passa les trois premières années de la guerre comme commandant d’artillerie et de cavalerie, avant de gagner son étoile en Avril 1864. Lors des la retraite vers Appomattox, ses hommes se heurtèrent aux troupes de l’Union menées par le General Theodore READ à High Bridge, Virginia, le 6 Avril 1865. DEARING et le général Yankee se mirent à part et se battirent dans un duel au pistolet, qui laissa READ mort et DEARING mourant. Le Colt Navy Model 1851 de DEARING reste en possession de sa famille, relique précieuse du dernier général Confédéré à mourir au combat. Une autre arme de poing ayant appartenu à un général Sudiste est inscrite en triste post-scriptum à la guerre. Le Brigadier General William M. BROWNE de Georgie, offrit son revolver Colt Root Pocket Model 1855, au numéro de série 22987, à la femme du Président, Mme. Varina Howell DAVIS, juste avant que le gouvernement ne partît de Richmond en Avril 1865. La Première Dame de la Confédération quitta Richmond avec un petit enfant dans les bras et un revolver Colt glissé dans son sac à main.

On trouva toute une variété d’armes d’épaules dans les tentes et les chariots à bagages des quartiers généraux. Des armes à chargement par la culasse de différents types semblent avoir été populaires parmi eux. Jeb STUART possédait un fusil revolver Colt ainsi qu’une carabine Anglaise à chargement par la culasse Calisher & Terry, qu’il essayait sur le terrain pour la cavalerie Confédérée. Cette carabine en calibre .56 présentait un gros mécanisme de culasse qui ressemblait un peu à ceux que l’on trouve sur les pièces d’artillerie modernes. Le Major General John B. FLOYD de Virginie reçut en cadeau de Samuel COLT un fusil revolver Colt alors qu’il était Secrétaire à la Guerre sous le Président James BUCHANAN. Le Major General John G. WALKER fut un autre de ces officier supérieurs qui possédaient un fusil Colt. Il acheta le sien quand il servit au Regiment of Mounted Riflemen dans les années 1850.

Nathan Bedford FORREST, alors Lieutenant Colonel, encore lui, était présent à la bataille de Fort Donelson. C’est là qu’avec un coup tiré de loin avec une carabine Maynard, il abattit un tireur d’élite Nordiste perché dans un arbre.

Et voilà que les officiers Sudistes se mettent à dégommer les snipers adverses avec des pétoires, maintenant.

Ben Mc. CULLOCH affectionnait lui aussi la Maynard à chargement par la culasse, et en portait une en bandoulière lorsqu’il mourut à Pea Ridge. Le Major General Dabney H. MAURY, qui servit avec WALKER sur la frontière du Texas, accrochait sa préférence à un fusil à chargement par la bouche, plus conventionnel. En poste à Carlisle Barracks, Pennsylvannia, avant la guerre, il se procura un canon de U.S. Model 1841 Mississipi Rifle de surplus, et le fit monter sur un fût et une platine de sport par un armurier local pour en faire un fusil superbement précis. MAURY se vantait d’avoir tiré du gibier à plus de 200 yards avec cette arme de service qui avait été modifiée. Ben tiens… Une zone vitale sur un gibier moyen, c’est pas grand. Et quand on connaît les faibles qualités balistiques de la grosse boule tirée par le Mississipi Rifle, il faut taper dans la zone vitale, sinon le gibier continue à se promener en boitant et il va se perdre ailleurs, pour y crever sans qu’on l’ait retrouvé. Donc à 200 yards avec un canon lisse, faut déjà être bon tireur. Le Major General Samuel G. FRENCH gardait comme trophée l’un des seize fusils à répétition Henry que ses troupes avaient capturé lors d’un combat en 1864 contre les forces de SHERMAN en Georgie. Après Appomatox, FRENCH rendit loyalement le joli fusil au boîtier de culasse en laiton, aux autorités de l’Union.

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 Fabriqué à environ 14 000 exemplaires par New Haven Arms Co., à New Haven, Connecticut, en calibre .44 Henry Flat à percussion annulaire. Le gouvernement Nordiste en acheta 1 731 entre 1862 et 1865, et en dota le 1st. Maine et le 1st. District of Columbia Cavalry Regiment.

D’autres généraux Américains ont porté des armes personnelles spéciales depuis l’époque de FORREST et de WHEELER. Sans aucun doute, les guerres à venir verront des généraux Américains dégainer leurs armes en menant leurs troupes à l’assaut contre l’ennemi, mais leurs exploits ne resteront que des ombres pâles, comparées à ceux qui furent accomplis par les galants chefs menant les légions Grises de la Cause Perdue. Au vingtième siècle, on sait qu’un autre Américain, amateur d’armes né en 1885 en Californie et qui n’avait donc plus rien à voir avec les paladins Gris, mais plus connu comme Général de chars, George S. PATTON, préférait des crosses en ivoire sur la paire de Single Action Army en .45 qu’il portait de préférence au Colt 1911 réglementaire dont il avait gardé un mauvais souvenir, quand un coup était parti tout seul de son pistolet tombé au sol alors qu’il était Capitaine pendant la Première Guerre Mondiale. L’individu était d’ailleurs armé jusqu’au dents car, non content d’être escorté et protégé comme un General peut l’être, il avait également, en plus de la paire de Colt S.A.A., une paire de Smith & Wesson en .357 à canons de 3,5 pouces. Chez les étrangers, deux autres individus, loin d’être des paladins Gris ceux-là, furent ce gros porc d’Hermann GÖRING qui frimait avec un revolver Smith & Wesson en .38 Special à la ceinture, comme si un bon vieux Lüger P08 allemand n’eût pas été mieux, mais c’était déjà trop bien pour lui, et le Russe Leonid BREJNEV qui aimait emporter son Colt Peacemaker Single Action Army en .45 avec lui lorsqu’il partait chasser.

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LEY QUINTO (Cinquième Loi)

Traduction d’un article de W. AUSTERMAN paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1985

(Ce récit débute au début du XIXème. siècle, quand le Texas était encore indépendant et quand le Mexique étendait ses frontières beaucoup plus loin qu’aujourd’hui)

Partie en reconnaissance en cette année 1837 le long de la frontière de la jeune république, une compagnie de Texas Rangers rencontra un cavalier solitaire qui aurait pu servir d’archétype pour une engeance d’hommes qui allaient exporter un commerce horrible de l’autre côté du Rio Grande, et profondément à l’intérieur du Mexique, pour les dix années à venir. Le Capitaine William « Bigfoot » WALLACE sentit un frisson courir le long de sa moelle épinière lorsqu’il se retrouva en face de Jefferson TURNER, un homme qui ne vivait que pour donner la mort à ses ennemis. Tatinnn, Tita-titinnn. Autrefois un colon bien pacifique, ce TURNER avait vu sa femme et ses enfants se faire massacrer au cours d’un raid d’Indiens, et il ne faisait plus à présent que hanter le désert pour assouvir sa revanche. Plus tard, WALLACE se souviendrait de lui comme d’un « type grand et sec, vêtu d’une chemise de chasse et de chausses en peau de chevreuil, avec un bonnet en fourrure de raton laveur sur la tête. Il portait à l’épaule un long et vieux fusil à silex, en fer et de type Kentucky, ainsi qu’un tomahawk et un couteau à scalper passés dans sa ceinture. Ses cheveux étaient emmêlés et pendaient autour de son cou, hirsutes, en de grandes touffes non peignées, et ses yeux sortaient de sa tête, aussi brillants qu’une paire de charbons ardents. » Soixante ans plus tard, le vieil homme de la frontière se rappelait encore ces yeux en frissonnant« J’ai vu toutes sortes d’yeux de fauves, de panthères, de loups, de pumas, de léopards et de lions mexicains, mais je n’en ai jamais vu qui scintillaient, brillaient et dansaient comme ceux qui le faisaient dans cette tête-là. » C’étaient les lanternes de la folie qui y brûlaient, et elles éclairaient le chemin de TURNER dans sa course éperdue après les scalps d’Indiens, c’est-à-dire leur cuir chevelu, découpé et arraché comme trophée. Alors qu’il chevauchait avec les Rangers, il prétendit qu’il venait d’en prendre trois de plus au cours d’une escarmouche avec les sauvages, portant ainsi son palmarès total à quarante-neuf. Quand TURNER se sépara de WALLACE, il se vanta qu’il ne reviendrait pas à la civilisation avant d’en avoir attaché une centaine, étalés et séchés, sur des arceaux.

Jefferson TURNER n’était motivé que par la soif de sang, mais il y en eut d’autres sur la frontière qui trouvèrent qu’ils pouvaient tirer un joli petit profit de ce type d’activité. Vers 1830, les résidents du Nord-Ouest du Mexique abordaient leur troisième siècle de lutte contre l’un des plus implacables ennemis jamais rencontrés par des colons. Les déserts et les collines torrides de la région abritaient les clans guerriers des Indiens Apache. Les Mexicains s’éteint déjà résignés depuis longtemps aux raids d’automne des Kiowa et des Comanche, quand ceux-ci s’élançaient par-dessus le Rio Grande depuis leurs territoires du Llano Estacado au Texas. Mais il s’agissait-là de menaces saisonnières, pas du tout comme les ravages continuels que faisaient les Apache, lesquels ne laissaient que peu de survivants dans leur sillage pour pouvoir pleurer les morts ou ratisser leurs cendres. Des dizaines d’années de guerres sans merci avaient transformé les Mexicains et les Apache en une espèce de vermine aux yeux de l’un et de l’autre. Ce ne fut donc pas surprenant lorsque, en Septembre 1835, l’Etat de Sonora décréta une loi qui offrait une prime de cent Pesos pour le scalp d’un guerrier Apache. L’un des premiers à capitaliser sur cette nouvelle loi fut un ancien chapelier du Kentucky, nommé James JOHNSON. Cet aventurier américain conclut avec le Gouverneur Escalante y ARVIZ un contrat pour mener une expédition officielle de chasse à l’Indien. Se faisant passer pour un commerçant, JOHNSON emmena ses associés vers le nord, dans ce qui est aujourd’hui le Comté d’Hidalgo, au Nouveau Mexique. Il gagna la confiance du chef Indien Juan José COMPA et sa bande d’Apache Mogollon. Après avoir attiré les Indiens dans son camp pour un festin nocturne qu’il leur avait promis, JOHNSON approcha le bout incandescent de son cigare de la lumière d’un petit canon qu’il avait caché sous une pile de selles. Le canon vomit sa charge de morceaux de fers à cheval découpés et de clous dans les Indiens, ce qui découpa les braves, les squaws, et les enfants avec une impartialité féroce. Et boum, et boum, petites patates boum, à nous les cent pesos par tête de patate.

Les blessés et ceux qui n’étaient qu’assommés furent rapidement achevés par balle, pendant que les hommes de JOHNSON se mettaient au travail avec leur couteau. Cette volée de métal fauchant tout le monde venait d’ouvrir les portes d’un trafic qui sera le plus brutal de toute l’histoire de la frontière du Sud-Ouest. Le gars du Kentucky et ses successeurs ont excellé en ce que même les Mexicains ont appelé « une vile industrie », le commerce des scalps humains. Pendant cinquante ans après cette nuit sanglante du 22 Avril 1837, ce sauvage commerce déterminerait les relations entre les Anglos, les Mexicains et les Indiens, du Colorado jusqu’aux limites du grand désert du Chihuahua. Les hommes qui chassaient le cuir chevelu pour de l’argent étaient d’une diversité surprenante quant à leur origine, ne partageant principalement qu’un mépris pour l’humanité de leurs proies. Ils variaient du trafiquant de fourrures, qu’il fût né au Mexique ou qu’il fût auparavant Américain, au déserteur de l’armée, en passant par l’Indien des tribus de Est des Etats-Unis et les émigrants en mal de cash sur le chemin de la Californie. Tous considéraient leurs armes comme les outils de base de leur profession. Ces armes variaient des plus antiques pétoires Espagnoles aux produits les plus modernes de l’industrie armurière de la Nouvelle Angleterre, mais ceux d’entre eux qui eurent le plus de résultats avaient des préférences bien définies en la matière. Le résultat fut un chapitre terrible dans toute l’histoire de l’Amérique.

Le succès de James JOHNSON dans ses moissons de peaux indiennes poussa l’Etat voisin de Chihuahua à décréter sa propre loi sur ce type de commerce, déterminant toute une palette de prix pour les scalps des mâles, des femelles et des petits, en une application cynique de l’économie d’un génocide. L’un des premiers à réclamer ses primes fut un ancien épicier de New York City devenu trafiquant de fourrures, nommé James KIRKER. Aussi appelé « Don Santiago » par les Mexicains, d’origine Irlandaise né en Amérique, cet homme de la frontière et sa compagnie de tueurs constitueront une plaie pour l’Apacherie pendant onze ans, lancés dans une féroce course à la fortune. Bien que KIRKER fût un homme éduqué, et un ancien compagnon de gens aussi connus dans le commerce de la fourrure que William ASHLEY et Jedediah SMITH, ce n’était qu’un mercenaire de la plus basse espèce, dont la soif de sang n’était surpassée que par son avidité de pouvoir. Traînant vers le Mexique au milieu des années 1820, KIRKER avait posé des pièges, il avait cherché de l’or, et fait du commerce avec les Indiens dans cette vaste région entre sa demeure à Janos, Chihuahua et les mines de cuivre du Nouveau Mexique. Avec beaucoup de nerf, et encore plus de chance, il était parvenu à gagner la confiance des Indiens. Ces Indiens allaient avoir de bonnes raisons pour regretter l’amitié qu’ils avaient vouée à ce Yankee pervers. Le massacre de JOHNSON entraînant une révolte indienne, KIRKER réalisa vite que ses chances d’être à nouveau le bienvenu chez eux risquaient de s’être dangereusement amincies, et il décida d’anticiper une attaque éventuelle en frappant les Apache le premier. Rassemblant une bande de durs à cuire qui incluait des trappeurs Français et Anglais, un Noir, deux Hawaïens et plusieurs braves guerriers Delaware et Shawnee, KIRKER lança un raid sur un village Indien, tôt le matin au printemps de 1837, et rapporta dans ses fontes cinquante cinq scalps de guerriers, en plus de la haine de ses anciens amis. Ainsi, lorsque le Chihuahua ratifia sa propre loi sur la chasse à l’Indien, KIRKER avait l’expérience et la réputation nécessaire pour rallier d’autres salopards à sa compagnie. En Avril 1839, il avait déjà obtenu de l’Etat la promesse d’une prime totale de cent mille Pesos pour financer sa guerre contre les Apache. En dépit d’un politique Mexicaine capricieuse et des paiements très intermittents pour ses services, KIRKER harcelait les tribus de Janos à Santa Fe, les traquant jusque dans leurs repaires les plus reculés, et leur engageant une poursuite implacable après chacune de leurs déprédations. En Septembre 1839, KIRKER surprit une bande à Rancho de Taos, au Nouveau Mexique, et en abattit quarante en l’espace de quelques heures à peine. Il répéta cet exploit en Février 1840, en déferlant sur un camp au Sud-Est de Chihuahua et en enlevant quinze scalps de la tête des morts, alors que quarante prisonniers étaient emmenés vers le marché aux esclaves local.

Pendant que KIRKER semait la terreur parmi les Apache et dans leurs rancherias, une caravane de chariots de marchandises et appartenant au marchand américain Albert SPEYER, cheminait péniblement vers le Sud près de Santa Fe, au printemps de 1841. Elle emportait avec elle une recrue potentielle pour KIRKER en la personne du jeune James HOBBS. Ce vaurien de vingt-quatre ans, originaire du Missouri, avait déjà survécu à quatre ans de captivité parmi les Comanches, et il s’y connaissait en combats contre les Indiens.

HOBBS joignit la caravane à Santa Fe, en direction du Sud le long du Rio Grande, vers El Paso et Chihuahua. Il reçut son baptême de chasseur de scalps pendant le voyage. Une caravane de 75 chariots pleins à craquer de marchandise de traite, plus 750 mules, ne pouvaient qu’attirer des pillards Indiens, et lorsqu’elle s’arrêta pour camper du côté Nord de l’aride Jornada del Muerto juste au-dessus d’El Paso, ils firent fuir tous les animaux excepté quelques douzaines. HOBBS partit à cheval à leur poursuite avec quelques hommes et attaqua les Indiens huit jours plus tard, au campement et pendant qu’ils dormaient. Neuf Apache tombèrent sous les balles des Blancs, et le reste s’échappa dans les buissons. Les compagnons Indiens de HOBBS s’empressèrent de peler la toison des braves morts. De retour vers la caravane avec le bétail récupéré, il obtint la promesse de SPEYER qu’ils recevraient une prime en arrivant à Chihuahua. C’est là que HOBBS réalisa qu’il y avait de l’argent à faire dans la lutte contre les Indiens, et veilla à récupérer d’autres trophées pendant que la caravane campait à nouveau à la sortie de la Jornada en arrivant vers Dona Ana, Nouveau Mexique, sur la rive Est du Rio Grande. Alors qu’il montait la garde cette nuit-là, HOBBS devina un mouvement dans l’ombre, et il aperçut un Indien s’approcher subrepticement du troupeau de mules. Le Missourien portait un fusil de chasse dont les deux tubes étaient chargés d’une bonne dose de « pilules de galène ». Il attendit calmement jusqu’à ce que le brave fût à quelques yards de lui, et « balança quinze bonnes chevrotines dans le creux de son dos, qui le tuèrent instantanément ». HOBBS avait gardé prudemment la charge du deuxième canon pour le compagnon du rôdeur, mais personne n’apparut. C’est un SPEYER enchanté qui lui dit en plaisantant qu’il « devrait demander une augmentation de la prime pour des scalps d’Indiens comme celui-là, et celui-ci vaudrait bien cent-cinquante Dollars. C’était le plus grand Apache que j’aie jamais vu, mesurant six pieds et quatre pouces. ». Alors que les marchands venaient de quitter El Paso, HOBBS en arriva à prendre goût à ce nouveau métier de scalpeur. Il admirait l’habileté que déployait le chef Shawnee SPYBUCK ( traduction, non pas Luke SKYWALKER, mais plutôt « Jeune Espion » ), un vieux compagnon de KIRKER dans la chasse au cheveu. Au cours d’une bataille, cet éclaireur lutta tout seul contre vingt Apache et en fit tomber trois de leur selle avec son fusil, avant que le reste ne battît en retraite. Il revint à la caravane avec leurs scalps qui pendaient au bout d’un bâton, pour les montrer à SPEYER. L’équipe passa l’automne 1841 dans la ville de Chihuahua, pendant que les marchands vendaient leur bétail et se préparaient pour le voyage du retour. James KIRKER apparut en ville et commença à recruter pour sa compagnie. Très vite, SPYBUCK rejoignit son ancien employeur et notre jeune et fougueux HOBBS décida de s’enrôler lui aussi. Pas moins de soixante-dix Shawnees et presque une centaine d’Anglos rejoignirent les chasseurs de scalps pendant que « Don Santiago » se préparait pour une grande expédition. Les Apache le devancèrent. Au début de 1842, ils attaquèrent une caravane au Nord de la ville et tuèrent tout l’équipage, sauf un homme. Le survivant parvint au camp de KIRKER pour apporter la nouvelle, et les hommes de ce dernier se mirent immédiatement en selle pour donner la chasse. Après une chevauchée de trois jours, ils arrivèrent au campement des pillards et trouvèrent les braves, ivres-morts d’avoir bu l’alcool qu’ils avaient volé dans les chariots. Les scalpeurs encerclèrent le camp et attaquèrent silencieusement au couteau et à la hachette. Seuls quelques coups de feu furent tirés, pendant que les guerriers complètement saouls mouraient dans leurs couvertures. Quand ce fut fini, quarante-trois jeunes forts étaient étendus parmi les cendres de leur campement. « Les Shawnees les scalpèrent tous immédiatement », se rappela HOBBS plus tard « et SPYBUCK se chargea d’entretenir les trophées macabres, en les enduisant de sel pour les conserver jusqu’à ce que nous retrouvions le gouverneur et qu’il nous donne l’argent de la prime. » C’est pas moi, c’est l’autre, dit-il, mais on voit que rien n’a changé chez les sauvages. Aujourd’hui, on a les génocides africains entre les Schmutzig et les Toutous. Sauf que ceux-là ne se scalpent pas, ils se balancent du haut des ponts ou se découpent entre eux à la machette. KIRKER apprit qu’un autre gros campement d’Apache se trouvait à quelques jours de voyage et proposa de les attaquer eux-aussi. La compagnie se dirigea donc allègrement vers le Nord en direction des sierras, sous le Rio Grande, laissant ses dernières victimes aux loups et aux coyotes. HOBBS dit plus tard que « chaque homme était armé d’un fusil et d’une paire de six-coups, et nous étions tous confiants dans ce qui allait se passer » Si cette histoire se déroule vraiment en 1842, je ne sais pas de quels six-coups il veut parler. Parce que l’arme de poing tirant six coups la plus connue dans cette partie du globe n’était pas encore sortie, que ce soit le Colt 1847 ou le 1851, et que le Paterson, qui n’était d’ailleurs pas tellement fiable, n’en tirait que cinq. Les gens avaient plus souvent des poivrières, et le silex était encore courant. Notre HOBBS était donc aussi menteur que salaud.

La chance du capitaine des scalps tint bon et, en donnant l’assaut sur les bords du Lac Guzman au petit matin, ses hommes détruisirent le village et ramassèrent cent trente neuf nouvelles peaux pour le trésorier payeur de monsieur le gouverneur. La carrière macabre de KIRKER continua florissante pendant plusieurs années encore, alors qu’il chassait l’Apache à travers les étendues sauvages du Chihuahua. En 1845, il revint d’une campagne en rapportant dix-huit captifs et cent quatre vingt deux scalps. Le mois de Mars 1846 le vit sur la frontière Nord-Ouest du Sonora, où il ratissa les villages des chefs Jose CHATO et MATURAN. Le 07 Juillet de cette année-là, ses hommes défirent le chef REYES près de Galena, prétendant rapporter son scalp et cent quarante huit autres après une boucherie sans merci. Les scalps préparés furent pendus sur la façade de la grande cathédrale de Chihuahua pour célébrer ce triomphe. Amen. La déclaration de guerre contre les Etats Unis, et la lenteur du gouvernement local à lui payer les primes qu’il lui devait, poussèrent KIRKER à déserter ses patrons. En Décembre 1846, il quitta le pays en fuyant, avec à ses trousses une prime de dix mille Dollars fixée par les autorités pour quiconque le ramènerait. En guise de représailles, KIRKER chevaucha vers le Nord en direction d’El Paso et rejoignit les volontaires Missouriens du Colonel Alexander DONIPHAN alors qu’ils se préparaient à envahir la province de Chihuahua. A la fin de la guerre, il bricolait par-ci par-là, tantôt en guidant les émigrants, tantôt comme éclaireur pour l’U.S. Army au Mexique, et tantôt en chassant un peu le scalp en solitaire. En 1850, il partit vers l’Ouest en Californie et, en l’espace de trois ans, y mourut d’alcoolisme.

Alors que KIRKER avait quitté la profession en 1850, ses émules ne tardèrent pas à se retrouver sur le terrain. La fin de la guerre contre le Mexique et la découverte d’or en Californie activait le flot d’émigrants et d’aventuriers à travers le Sud-Ouest américain et la frontière Nord du Mexique. Les nouveaux venus provoquèrent de la part des Apache des actes de sauvagerie encore plus grands qu’avant, ceux-ci les voyant comme une nouvelle vague d’envahisseurs qui violaient leur territoire. Beaucoup de ces argonautes, en atteignant le Rio Grande à El Paso ou Presidio, se rendaient compte que leur porte-monnaie était vide. Par nécessité, certains s’orientèrent donc vers le commerce du cheveu pour gagner de quoi continuer le voyage jusqu’en Californie. En 1850, les gouvernements de Chihuahua, de Sonora, de Durango et de Coahuila avaient tous décrété des variantes de la Ley Quinto, la Cinquième Loi. Essentiellement des répétitions des vieux statuts sur la chasse aux scalps, les nouvelles lois resteraient en application jusqu’en 1886. Comme avant, des récompenses étaient proposées à la fois pour les scalps et pour les prisonniers, avalisant ainsi un meurtre en masse et un esclavage pour combattre la menace des Indiens. Rien que pour l’année 1849, l’Etat de Chihuahua dépensa dix sept mille huit cent quatre vingt seize Pesos en primes, et le commerce continuait de fleurir.

De nouveaux hommes ne tardèrent pas à signer des contrats pour parcourir la frontière à cheval à la recherche de primes. La « vermine rouge » promettait une fortune pour ceux qui voulaient associer la soif de sang à l’avidité. Deux des pires de ces nouveaux adeptes sortirent des rangs des Texas Rangers. Au cours de carrières aussi courtes que sans pitié, ils apportèrent de nouvelles dimensions à l’horreur de ce type de commerce. L’un des premiers à se distinguer fut Michael H. CHEVAILLE, un vétéran des Texas Rangers qui avait accompagné le Général Zachary TAYLOR dans sa charge vers l’intérieur du nord du Mexique, au cours de la guerre qui venait de finir. Ce CHEVAILLE attrapa la fièvre de l’or et forma une caravane d’immigrants à San Antonio pendant l’été de 1849. A court de fonds, ils choisirent d’aller à la chasse aux scalps au Mexique pour financer leur voyage et continuer vers l’Ouest. CHEVAILLE se battit à plusieurs reprises avec les Apache et les Comanches dans l’ouest du Texas et au Chihuahua. Un article de journal crédita même sa bande de la mort de quarante Indiens et de la capture de deux cent prisonniers au cours d’une bataille à la mi-Juillet. Le Texan fut heureux de toucher l’argent de la récompense, et reprit sa route vers le Pacifique. En Octobre, ses affaires s’étaient écroulées et peu de temps après, il tomba dans une dépression qui se termina en suicide.

L’un des concurrents de CHEVAILLE était d’une autre trempe, et ne manqua jamais de crier le décompte de ses victimes sous tous les toits. Comme CHEVAILLE, John Joel GLANTON avait servi au Mexique, mais même avant cela, il avait déjà acquis une funeste réputation. Un événement bien typique eu lieu dans un saloon de San Antonio un jour de 1846, quand GLANTON et un autre de ces hommes de la frontière se disputèrent à propos de cartes. Son antagoniste dégaina un pistolet, mais celui-ci fit long-feu. Et pif, pas boum !

GLANTON sortit son gros Bowie et décapita pratiquement le joueur adverse d’un simple et unique coup de couteau. Il essuya ensuite calmement le sang de la lame sur son pantalon de peau tout graisseux, et remit l’arme dans son fourreau en disant « Etrangers ! Quelqu’un veut-il continuer la bagarre ? Si oui, qu’il sorte. Sinon, on boit ! » Personne n’osa relever le défi, et on brassa de nouveau très vite les cartes. Né en Caroline du Sud, GLANTON était arrivé au Texas alors qu’il était encore très jeune. Au début de sa vie, c’était un homme très religieux, d’une moralité rigide. Puis sa fiancée fut enlevée et assassinée par les Apache, et GLANTON se transforma en un tueur vorace et assoiffé de sang, qui se moquait de toute religion excepté celle de la poudre, de la capsule de fulminate et de la balle de plomb. Lorsqu’un jour, deux ecclésiastiques déclenchèrent involontairement sa fureur à San Antonio, il s’engouffra dans leur maison sur son cheval et tenta de les tuer avec son revolver. Leur seule faute avait été de lui rappeler qu’il avait renié sa foi. L’été de 1849 vit GLANTON marié avec une jeune Mexicaine de bonne famille, mais on le connaissait toujours comme l’homme « qui avait tué dix hommes juste pour le sport ». Cet été-là, GLANTON déserta sa jeune mariée et s’en fut recruter sa propre bande de diables fous pour le suivre vers le Chihuahua. Les trente neuf brutes battirent la campagne à travers cet Etat et les régions avoisinantes, à la recherche de leurs proies. Au canyon de Santa Helena sur le Rio Grande, l’équipe de GLANTON surprit un campement Apache et poursuivit les Indiens pendant une bataille qui dura toute la journée. A la tombée de la nuit, ses hommes avaient récolté deux cent cinquante scalps sur les braves massacrés, sur les femmes et sur les enfants. Cet automne-là, il parcourut les montagnes du Chisos dans le Texas, et réussit presque à tuer le chef GOMEZ, l’un des plus féroces dirigeants des Apache Mescaleros. GOMEZ se vengea en prenant en embuscade tous les émigrants qu’il pouvait sur la route d’El Paso. A la fin de sa première campagne au cours de cet automne sanglant de 1849, les autorités Américaines sur la frontière condamnèrent les agissements de GLANTON. Un officier supérieur se plaignit par écrit à ses supérieurs de Washington : « Une bande d’Américains s’est engagée au service de l’Etat de Chihuahua pour tuer et anéantir des Indiens… Ces hommes sont entrés récemment sur notre territoire près de Presidio del Norte, et ils ont tué et scalpé un certain nombre d’Indiens pacifiques et amicaux… ce qui a tellement exaspéré les Indiens tout le long de la frontière, que la vie de tout homme Blanc qui pourrait tomber entre leurs mains sera le prix à en payer … on ne peut s’attendre à rien d’autre qu’une hostilité générale de la part des Indiens contre les Blancs, en réaction à la conduite indigne de ces mercenaires dépravés qui portent le nom d’Américains. » Il est facile de comprendre qu’à sa seconde incursion, GLANTON trouva les Indiens bien difficiles à rencontrer. Il choisit un stratagème profitable en massacrant des campements de Mexicains isolés, camouflant les faits en du travail d’Indien. Ses hommes découpaient ensuite les scalps des pauvres paysans qu’ils venaient de tuer, dans l’intention de les faire passer pour des trophées pris sur des Indiens. C’est la faute de ces mexicons, ils n’avaient qu’à ne pas ressembler à des indiens ! La ruse paya à plusieurs reprises, mais devint bientôt suspecte aux yeux des autorités de Chihuahua, qui finirent par poursuivre GLANTON et sa bande pour meurtre. Se rendant compte que la partie était finie dans le coin, les tueurs partirent vers le Nord pour le Sonora, ne manquant pas une escarmouche en cours de route avec des Mexicains ou n’importe quels Indiens, les uns et les autres faisant l’affaire une fois qu’il n’en restait que le scalp. Depuis son nouveau quartier général qu’il avait établi dans le vieux village de Fronteras, GLANTON recruta de nouveaux hommes parmi la population grandissante de Tucson.

Une colonne du 2ème. U.S. Dragoons se trouvait à Tucson à cette époque et l’agent de GLANTON, surnommé « Crying Tom » HITCHCOCK, arriva à convaincre un jeune Bostonien appelé Sam CHAMBERLAIN de déserter de son poste de charretier pour l’armée. Lui-même un vétéran au service des Dragons lors de la guerre contre le Mexique, CHAMBERLAIN apporta à la bande de GLANTON plus que son œil averti et son bras fort. Comme il se faufilait en dehors du camp ce soir-là, un Colt Walker pendait à sa ceinture et deux étuis pour pistolets à percussion étaient accrochés à sa selle, en même temps qu’une carabine Hall à chargement par la culasse. CHAMBERLAIN se croyait un aventurier aguerri, mais il se rendit vite compte que la sauvagerie dont ses nouveaux camarades faisaient preuve, et le mépris total qu’ils montraient pour la vie humaine, étaient pour lui épouvantables. A cheval avec HITCHCOCK alors qu’ils étaient en route pour Fronteras, ils rencontrèrent un jour une bande d’Apache, et CHAMBERLAIN blessa l’un des braves avec sa Hall. Le guerrier blessé préféra se jeter du haut d’une falaise, plutôt que de leur laisser son cuir chevelu.

« Putain ! Voilà cinquante Pesos qui partent en enfer, muchacho ! » jura « Crying Tom ». « Cette saloperie de conard de nègre rouge a fait ça exprès pour nous voler ses tifs ! » De retour au camp, CHAMBERLAIN se fit accueillir vertement, mais la compagnie le garda tout de même parmi elle. Il se rendit compte que les marginaux qui la constituaient n’étaient qu’un ramassis hétéroclite de « Mexicains du Sonora, d’Indiens Cherokee et Delaware, de Canadiens français, de Texans, d’un Noir et d’un Comanche pur-sang… équipés d’une vaste collection d’armes et d’équipements variés, et d’une diversité d’habillement rarement vues dans un corps normalement organisé pour la lutte contre les Indiens. » Bien que CHAMBERLAIN gagnât le respect de ses complices scalpeurs grâce à sa carabine Hall, il regretta vite sa décision d’en avoir rejoint la bande. GLANTON continuait son pèlerinage sanguinaire, tuant et scalpant aveuglément tous les voyageurs Indiens et Mexicains qu’il trouvait à sa portée. Un jour, quatre de ses hommes furent grièvement blessés lors d’un combat et incapables de continuer le voyage, et il ordonna calmement qu’on les abattît en s’en allant plus loin sur son cheval, pendant que ses camarades les achevaient à coups de casse-têtes Apache. Ce GLANTON avait manifestement sombré dans une folie meurtrière depuis longtemps, et CHAMBERLAIN commença à se sentir comme un prisonnier du gang plutôt que l’un des membres. Au printemps de 1850, il déserta GLANTON avec trois autres et partit vers la Californie. Entre-temps, GLANTON s’était installé sur les berges du Gila. Il y assassina plusieurs Indiens Pima et s’empara du bac que ceux-ci avaient installé, avec dans l’esprit de faire fortune en escroquant les émigrants désireux de passer de l’autre côté. Cette aventure parut prometteuse un petit moment, mais sa brutalité avait rendu les Pimas fous de rage et, le lendemain de la désertion de CHAMBERLAIN, ils attaquèrent le campement, y tuant GLANTON et les compagnons qui lui restaient. Les Indiens se saisirent du corps de l’ancien chasseur de scalps et « lui taillèrent les boucles jusqu’à la pomme d’Adam ». Ce fut une juste fin pour le sauvage Blanc.

Bien que le commerce du cheveu humain persistât encore au Mexique bien après la mort de GLANTON, les détails à ce sujet manquent à partir du début des années 1850. Des flibustiers américains comme Henry CRABB ou William WALKER effacèrent la bienvenue au Mexique pour le « Norte Americano » pendant une dizaine d’années, envisageant d’y graver leur empire privé en s’emparant de parties du Chihuahua ou du Sonora. Les primes pour les scalps restaient en vigueur, et des chasseurs Mexicains comme Juan Mata ORTIZ prirent la route, à la recherche d’Indiens. En 1860, cette pratique s’était étendue jusqu’aux Etats Unis. Cette année-là, un voyageur qui visitait l’Arizona rencontra des chasseurs de primes dont les « brides étaient brodées de cheveux humains provenant des victimes qu’ils avaient scalpées, et décorées des dents qu’ils avaient arrachées des mâchoires de femmes encore vivantes. » La tactique favorite était de laisser des provisions empoisonnées le long de pistes fréquemment empruntées par les Apache. Le résultat donnait aux couteaux des chasseurs une récolte facile et sans risques. La haine des Indiens était telle à cette époque, que les autorités américaines offrirent délibérément des primes sur tout le territoire de l’Arizona. En 1866, le journal « Miner » de Prescott annonça fièrement la formation des Yavapai County Rangers. Cette milice de trente hommes recrutait pour un service de quatre vingt dix jours, sous les ordres du chasseur d’Indiens Thomas HODGES. « Une coquette somme est allouée pour l’équipement, et aussi pour les scalps d’Indiens » pouvait-on lire dans le « Miner ». Une troupe de théâtre amateur réunit vingt cinq Dollars comme prime pour les Rangers, et on promit un scalp d’Apache à chaque femme de la compagnie théâtrale, en guise de remerciement de la part de la milice. Les Rangers coincèrent une bande d’Apache dans un canyon au Nord de Prescott, et abattirent vingt trois hommes, femmes et enfants. « Hourrah pour les Yavapai Rangers ! »exultait le « Miner ». « Nous sommes heureux de savoir que nos Yavapai Rangers ne se sont pas préoccupés de faire de prisonniers chez ces peaux-rouges sanguinaires. » Alors que certains tueurs d’Indiens préféraient leurs vieilles pétoires, des armes neuves arrivaient du Sud-Ouest pour les aider dans leur campagne contre les Apache. Le célèbre « Sugar-foot Jack » préférait son Colt Dragoon en .44 pour abattre ses proies, mais l’été 1863 vit des carabines à répétition Spencer passer à travers le territoire, lesquelles gagnèrent l’approbation immédiate de tous les hommes de la frontière qui en voyaient une. En 1868, le James HOBBS vieillissant donnait toujours dans le commerce du cheveu humain, et il se servait à la fois de la Spencer et d’une Henry à répétition en .44 annulaire. Un jour de cette année-là, il ramena un paquet de neuf scalps dans Fort Buchanan et proposa de signer un contrat avec le gouvernement pour en rapporter plus sur le territoire.

Le Gouverneur John M. GOODWIN et son successeur, A.P.K. SAFFORD étaient tous les deux en faveur d’une élimination de la menace Indienne aussi rapide que possible de l’Arizona. Entre 1869 et 1877, le gouvernement d’Etat reçut presque un millier de Springfield en .45-70 et en .50-70 du gouvernement fédéral. Un autre lot de cinq cent Sharps et Spencer à chargement par la culasse entra également dans l’arsenal d’état pendant cette période. Les armes furent librement distribuées parmi les citoyens, et elles eurent leur place dans les plus violents assauts contre les Indiens.Putain ! Tu imagines un peu ce que cela serait en France si on donnait gratuitement comme ça des .50-70 à tous les braves gens qui voudraient éliminer la vermine ratagasse ? Je vois bien ces gros morceaux de plomb pur, généreusement frottés à l’ail pour être bien sûr que ça s’infecte sur les blessés, en même temps que le saturnisme, les résidus de salpêtre et de soufre de la poudre noire, et puis aussi pour être sûr qu’ils ne reviennent pas du monde des morts, qui entreraient méchamment dans le corps de tous ces mauricots en leur brisant les os. Ouah ! Ouah ! Au mois d’Avril 1871, le Lieutenant Royal E. WHITMAN du 3ème U.S. Cavalry avait réussi à rassembler plusieurs centaines d’Apache pacifiques dans une réserve à Camp Grant, à quelques cinquante miles au Nord-est de Tucson. La présence des Indiens dérangeait trop les colons du coin, et ils décidèrent de passer à l’action. On sortit des caisses entières de Sharps et de Spencer des magasins du Gouverneur SAFFORD, et on en dota une troupe de cent quarante Blancs, Mexicains, et Indiens Papago. Au matin du 30 Avril, ils s’abattirent sur les Indiens sans défense et s’appliquèrent à les massacrer. Lorsque tout fut fini, pas moins de cent vingt cinq Apache gisaient sur le sol, morts. On ne compta parmi eux que huit hommes, et des douzaines d’enfants avaient été emmenés vivants pour être vendus sur le marché aux esclaves de l’autre côté de la frontière. Ce fut-là l’une des atrocités les plus graves commises dans l’histoire de la frontière Américaine. La haine et l’avidité s’étaient combinées dans le massacre de Camp Grant, et déclenchèrent une nouvelle Guerre Indienne en Arizona. A l’Est, les choses n’allaient pas mieux. Au Nouveau Mexique, l’agent chargé de la réserve Apache de Canada Alamosa, se plaignit que « des bandes qui viennent du Chihuahua et qui touchent des primes pour les scalps d’Indiens, sont aussi autorisées à chasser l’Indien sur le Territoire ( du Nouveau Mexique ). Il y a quelques jours, une petite troupe venant de Janos au Chihuahua a failli attaquer ces Indiens… Il sera impossible d’établir une paix permanente avec ces Indiens si on permet à des bandes incontrôlées de venir de l’Ancien Mexique pour errer comme elles le veulent et venir attaquer tous les Indiens qu’elles vont trouver, où et quand elles le voudront, et en toutes circonstances. Les gens, eux aussi, qui chassent les Indiens pour les quelques malheureux Dollars qu’ils reçoivent pour un scalp… Un Indien pacifique vaut… autant qu’un autre. » Le carnage continuait à s’étendre depuis l’ancien Mexique. A la fin de l’automne 1871, une troupe de scalpeurs quitta Presidio del Norte sur la frontière et pénétra dans le nord du Texas, aussi loin que les ruines de Fort Lancaster, sur les berges du Pecos. Il se heurtèrent à une bande d’Indiens et tuèrent deux braves. Dix squaws et enfants furent ramenés comme un troupeau à Presidio. De là, « ils furent acheminés vers Chihuahua, où le gouvernement paye une récompense de soixante quinze Dollars par tête. Les scalps rapportent deux cent cinquante Dollars. Ces Mexicains abordent la question Indienne avec raison. » pouvait on lire dans le journal « Austin Democratic Statesman ». Démocratique à sens unique, comme aujourd’hui en France entre les « corrects » d’un côté, et le reste de l’autre. Rien n’a changé ; tout est relatif. L’attitude des Texans était partagée par les gens de la frontière, plus loin vers le Nord au fur et à mesure qu’ils se heurtaient aux tribus autochtones de la région. Un citoyen de Denver sur le Territoire du Colorado, offrit une prime de dix Dollars par scalp de guerrier. A Central City, les colons réunirent une somme de cinq mille Dollars pour l’achat de scalps à vingt cinq Dollars la pièce.

Mais le Mexique restait le centre de l’industrie du scalp au fur et à mesure que passaient les années 1870. Le transporteur Texan August SANTLEBEN se rappelle qu’en visitant Chihuahua city en 1874, il avait trouvé que la prime de deux cent cinquante Dollars avait toujours cours.  Le Gouverneur Luis TERRAZAS était déterminé à tuer ou jeter en dehors de l’Etat tous les Apache qu’il restait dans les collines. Un jour, SANTLEBEN y vit une bande d’Apache pacifiques défiler dans les rues, de retour d’une expédition contre des hostiles. Les braves portaient fièrement de longs bâtons aux bouts desquels ils avaient fixé des scalps d’autres Apache. Derrière eux marchaient les femmes et les enfants qui avaient été faits prisonniers sur la bande attaquée, et destinés à être vendus comme esclaves. Les braves citoyens bien pensants passèrent le restant de la journée à faire la fête, pendant que les Indiens ramassaient l’argent que le gouvernement leur devait pour leurs trophées.

Les Mexicains et leurs alliés Indiens étaient parfois organisés en milices, armées par le gouvernement, mais se chargeant eux-même de leur paye avec les primes ramassées pour les scalps. Les « Nacionales », comme on les appelait, fournissaient leurs propres armes ou portaient les fusils et carabines à chargement par la culasse Remington d’ordonnance en 11 MM utilisés par l’Armée Mexicaine. La République du Mexique avait aussi acheté des lots de carabines Spencer en .56-50 annulaire et des Winchester en .44-40. Les armes de poing d’ordonnance étaient les Smith & Wesson en .44 annulaire et en .44 Russian. Des quantités moins importantes de Colts et de Remington en .45 étaient également en dotation chez les miliciens. Les « Nacionales » étaient des hommes hardis et de bons combattants lorsqu’ils étaient convenablement menés. Un Texas Ranger qui travailla quelque temps avec les Chihuahenos fit d’eux cette description : « Des cavaliers, bien armés de pistolets et de carabines Remington, portant de bons uniformes et montés sur des animaux de même taille et à la robe foncée. L’infanterie était composée d’Indiens provenant de l’intérieur du Mexique. Ceux-là portaient aux pieds des sandales de cuir et ils étaient armés de fusils Remington. Chaque soldat portait deux cartouchières contenant cent cartouches. J’étais impressionné par le peu de bagage et de rations que portaient ces hommes. En marche, chaque homme avait un petit sac de toile contenant environ un quart de farine de maïs, adouci avec un peu de sucre, et une cuiller de cette mixture mélangée à une pinte d’eau leur faisait un bon repas. Ce peu de bagages et de rations leur permettait de se déplacer rapidement. L’infanterie n’avait aucun mal à garder la cadence avec la cavalerie pendant la marche, et en terrain difficile, elle progressait plus vite que les hommes à cheval. » Les « Nacionales » prirent une place importante dans l’une des dernières grandes révoltes Indiennes du Sud-Ouest. En Août 1879, le chef Apache VICTORIO s’enfuit de la réserve de Warm Springs, Nouveau Mexique, et mena sa suite dans une série de pillages qui allaient laisser les deux côtés de la frontière en révolte pour l’année à suivre. VICTORIO lançait ses raids de façon répétée à la fois au Mexique et aux Etats Unis, tuant les hommes et volant les chevaux et les provisions pour subvenir aux besoins de sa rébellion. Ni les troupes Mexicaines, ni les troupes Américaines, ne purent jamais garder sa trace assez longtemps pour se rapprocher de lui quand il se retirait dans ce sanctuaire qu’étaient les montagnes au Nord du Chihuahua. En Septembre 1880, le gouvernement du Chihuahua offrait une récompense de mille Dollars rien que pour le scalp de VICTORIO, et l’offre était affichée des deux côtés du Rio Grande. Le Colonel des « Nacionales » Joaquin TERRAZAS mit son régiment en marche, déterminé à vaincre VICTORIO. TERRAZAS, lui-même un ancien scalpeur, fut rejoint par Juan Mata ORTIZ, un autre expert dans ce genre d’affaires. Après une longue poursuite, ils coincèrent la bande de VICTORIO à Tres Castillos et donnèrent l’assaut au campement le 15 Octobre. Le fusilier Mauricio CORREDOR tua le chef Indien au cours de la bataille et, à la fin de celle-ci, les hommes de TERRAZA revendiquaient soixante seize scalps et soixante six prisonniers pour le marché aux esclaves. Le Colonel rassembla dix sept mille deux cent cinquante Dollars pour les scalps, et dix mille deux cent Dollars pour la bande de captifs. CORREDOR réclama la prime pour les cheveux de             VICTORIO, et le gouvernement reconnaissant lui offrit un superbe fusil Sharps entièrement nickelé. Pendant les six années suivantes, des révoltes Indiennes du même type s’allumèrent de façon répétitive au Mexique et aux Etats Unis, des durs comme JUH, NANA et GERONIMO menant leurs braves dans de derniers et amers combats contre leurs ennemis. GERONIMO revendiqua le scalp de Juan Mata ORTIZ en 1882, et CORREDOR mourut au cours d’une attaque mal lancée contre des éclaireurs Apache de l’U.S. Army en 1886. La dernière des grandes guerres Apache se termina par la défaite finale de GERONIMO à la fin de cette année-là. Des poches de résistance d’hostiles survivraient bien encore dans le désert montagneux du Mexique jusqu’au vingtième siècle, mais le temps des chasseurs de scalps était révolu pour toujours des deux côtés de la frontière. Les historiens s’accordent pour dire que le commerce du cheveu humain prolongea plus les violences entre les Blancs, les Indiens et les Mexicains, que tout autre facteur. L’avidité et la haine nourrirent chaque côté sans relâche pendant cinquante ans avant que la tragédie ne cessât. A travers elle, des armes comme le revolver Colt, la carabine Spencer et le fusil Hawken portèrent le fardeau macabre que leur avait donné le travail de leurs propriétaires. Bien que de moindre importance, c’est aussi une autre tragédie pour cette époque qu’aussi longtemps que la Ley Quinto resta en vigueur, des armes bien huilées et polies pour leurs tâches sanguinaires aient été portées par des hommes dont la conscience était piquée de rouille. Ouf ! Bon et moi, maintenant, je vais aller prendre un pot. J’avais rendez-vous chez le coiffeur, mais après avoir lu cette histoire, je préfère attendre encore un peu. C’est un Indien…

LE ROI DES CHASSEURS DE SCALPS

Traduction d’un article de Michael MARSH paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1993

Un jour d’été 1848, l’aventurier Anglais George Frederick RUXTON arrivait à cheval sur la place centrale de Chihuahua City, Chihuahua, Mexique, et il fut frappé par une vision macabre. Pendant comme des ornements funestes sur la façade de la cathédrale, des scalps, de longs scalps noirs d’Apache, se balançaient doucement dans la brise du désert. RUXTON en compta cent soixante dix en tout et, sans cacher son dégoût, écrivit dans son livre « Aventures à travers le Mexique et les Montagnes Rocheuses » que « les Apache avaient été récemment massacrés traîtreusement et de manière inhumaine par des chasseurs d’Indiens payés par l’Etat. Les scalps d’hommes, de femmes et d’enfants ont été apportés en ville au cours d’une procession, et suspendus comme des trophées, cette situation montrant la valeur et l’humanité Mexicaine. » Ces « chasseurs d’Indiens » étaient conduits par James KIRKER, un Irlandais qui avait vécu vingt ans au Mexique. Il avait été engagé par le gouverneur du Chihuahua, Angel TRIAS, comme chasseur indépendant d’Indiens, et il était payé deux cent Pesos d’argent par scalp. Les scalps qui décoraient la cathédrale avaient appartenu à la bande Apache du chef REYES, lequel avait été écrasé près de Galena dans le Nord du Chihuahua, au début du mois de Juillet. A l’époque de la visite de RUXTON, les Apache terrorisaient le frontière Nord du Mexique depuis presque un siècle. Lançant des raids gratuits, pillant villages et ranches et assassinant des milliers d’habitants. A l’époque où les colons américains se battaient pour leur indépendance, les Espagnols essayaient de mener une guerre contre les Apache. Mais les Espagnols se rendirent compte que leurs stratégies et leurs tactiques classiques étaient inefficaces contre les Apache, lesquels étaient d’excellents combattants de guérilla qui évoluaient dans leur propre élément. Malgré quelques victoires isolées obtenues par les Espagnols, les campagnes manquaient généralement de résultats durables. Après la Révolution Mexicaine de 1821, un climat de politiques turbulentes laissa les nouveaux régimes encore moins capables de gérer le problème. Situé à un millier de miles plus au Sud dans la ville de Mexico City, le gouvernement central était peu disposé à apporter de l’aide, qu’elle fût d’ordre financier ou militaire, pour protéger les citoyens, et préférait laisser le problème aux Etats eux-mêmes. Le sang continua donc de couler sans espoir d’amélioration, et la vie et le commerce sur la frontière en arrivaient au point mort. Les ranches étaient délaissés, les mines abandonnées. En fait, des colonies entières devinrent des villes fantômes. Même les habitants des villes n’étaient pas en sécurité : de 1832 à 1849, quelques deux cent personnes furent massacrées par les Apache dans les rues de Fronteras, Sonora, et des citoyens étaient assassinées de façon routinière dans la ville et autour, de Chihuahua City.

Au printemps de 1831, en réponse au mécontentement grandissant des citoyens, le Président du Mexique envoya le Colonel José Joaquin CALVO prendre le commandement militaire de la région en colère. Soldat et administrateur compétent, CALVO devint gouverneur du Chihuahua en Septembre 1834. Il tenta d’abord de résoudre le problème en essayant de faire la paix avec les Indiens. Quand cette stratégie échoua, il lança une campagne militaire contre eux. Celle-ci se solda par aussi peu de succès qu’avec les Espagnols cinquante ans plus tôt. Les troupes Mexicaines, d’abord mal entraînées et sous-payées, furent vite démoralisées et mises en  déroute par les Apache, qui frappaient comme un feu de brousse et disparaissaient comme la fumée. Désespérés, les dirigeants mexicains reprirent les vieilles pratiques des Espagnols, en payant une prime pour les cuirs chevelus d’Indiens. En Septembre 1835, l’Etat de Sonora décréta le Proyecto de Guerra, lequel offrait cent Pesos pour le scalp d’un guerrier Apache. Ce n’était pas une petite somme dans les années 1830. En guise de stimulation, le chasseur de scalps pouvait garder tout le bétail ou ce qu’il avait pu piller en ramassant ses scalps. Au cours des années 1830, des troupes entières de trappeurs américains oeuvraient dans le désert tout autour du Rio Grande, où les cours d’eaux recelaient de riches récoltes en peaux de castors. Lorsque le marché de la fourrure s’écroula dans la deuxième moitié de la décade, cependant, beaucoup de ces trappeurs se rendirent compte qu’ils avaient besoin d’une nouvelle source de revenus. La nouvelle loi du Sonora sur les scalps étant prometteuse en matière d’activité lucrative, nombreux furent ceux qui choisirent de délaisser la chasse aux fourrures au profit de la chasse aux scalps.

Au Nouveau Mexique traînaient à cette époque-là plusieurs opportunistes, parmi lesquels un homme originaire du Kentucky et s’appelant John James JOHNSON. On a décrit JOHNSON de plusieurs manières, soit comme un homme des montagnes, soit comme un marchand de mules, soi comme un négociant en argent. Il choisit apparemment d’ajouter la chasse aux scalps à cette palette de métiers. Une bande d’Apache Mimbreño, conduite par le chef Juan José COMPA, avait suscité une colère considérable au Mexique. Après avoir lancé des raids dans Sonora et Chihuahua, Juan José et ses guerriers se retirèrent dans les contrées sauvages du Nouveau-Mexique, où ils avaient pu rester jusque là sans être poursuivis. JOHNSON, en compagnie de seize autres Américains, la plupart des trappeurs et d’autres aventuriers de la frontière, s’en furent à cheval, à la recherche des Apache. Le gouverneur du Sonora avait promis un bonus supplémentaire à JOHNSON s’il arrivait à lui rapporter le scalp de Juan José lui-même. En Avril 1837, JOHNSON et ses hommes repérèrent le campement de Juan José, constitué d’une centaine d’Indiens, dans les montagnes Anima dans le Sud-Ouest du Nouveau-Mexique. A cette époque, les Apache ne considéraient pas encore les américains comme leurs ennemis. Dans l’ensemble, ils avaient été tolérants avec les trappeurs Anglos, et en fait ils commerçaient souvent avec les Blancs, échangeant du bétail, spécialement des mules, qu’ils avaient pris lors de raids au Mexique, pour des armes, de la poudre, du plomb, des couteaux, du whisky et autres. C’est dans cet esprit que Juan José accueillit les américains dans son camp, pensant sans doute à faire un peu de troc. Mais JOHNSON avait autre chose en tête. Il était d’usage courant que les Blancs fassent des cadeaux avant une séance de troc, et JOHNSON avait déposé un peu plus tôt dans une clairière un sac de piñole, une farine de maïs très prisée par les Apache. Sur le côté, soigneusement caché sous un tas de selles et d’équipement, un petit canon avait été pointé directement sur le piñole. Le canon avait été chargé de bouts de fer, de clous, et de morceaux de chaînes. JOHNSON invita les Apache à se servir en piñole et, lorsqu’une foule d’hommes, de femmes, et d’enfants se fut rassemblée autour du sac, il approcha son cigare de la lumière du canon, lequel vomit horriblement et frappa les Indiens de plein fouet, comme un orage de grêle venant de l’enfer. Beaucoup furent tués, et beaucoup plus furent atrocement blessés. En ce qui concerne Juan José, JOHNSON et l’un de ses lieutenants avaient pris à part le chef qui ne se souciait de rien, sous un prétexte amical, et c’est là qu’ils l’assassinèrent. Lorsqu’on lui présenta les scalps, spécialement celui de Juan José, le gouverneur du Sonora jubilait. Avec le premier succès du Proyecto de Guerra, l’Etat du Chihuahua ne tarda pas décréter une mesure similaire. Le Chihuahua payerait cent Pesos pour le scalp d’un Apache, cinquante pour celui d’une squaw et, pour qu’il ne grandisse pas et ne devînt ainsi un trublion, vingt cinq Pesos pour celui d’un enfant de moins de quatorze ans. On s’en doute, l’incident ne fit rien pour améliorer les relations entre Apache et Américains. Tout ce qui eût pu exister de confiance entre ces races auparavant fut réduit à néant.

Une fois remis du massacre, les Apache enragés recommencèrent à verser le sang pour se venger et cette fois, les américains ne furent pas épargnés. La région du Santa Rita del Cobre abritait les mines de cuivre les plus riches du Sud-Ouest. Ouvertes vers 1800 par les Espagnols, les mines se trouvaient au Sud de la rivière Gila, en plein milieu du territoire Apache, à côté de ce qui est aujourd’hui Silver City, Nouveau-Mexique. Déjà en 1806, les mines produisaient jusqu’à dix tonnes de minerai par jour, mais il n’y avait pratiquement pas un jour qui passât sans une attaque Apache, et garder les mines en opération était un combat permanent. Le chemin menant à Santa Rita était une piste allant vers le Sud-Est vers la ville de Chihuahua City et traversant le village Mexicain de Janos. C’était par là que passaient les caravanes de mulets, appelées « conductas », pour apporter les vivres de la ville vers le Nord, et transporter le minerai vers les fours dans le Sud, au Nord de la province du Chihuahua. Malheureusement, la route croisait une piste de guerre Apache, et les « conductas » faisaient constamment l’objet d’attaques. Lorsqu’en 1827, les mines de Santa Rita passèrent sous la direction de Robert Mc. KNIGHT et Stephen COURCIER, les Apache avaient ralenti leurs attaques. Mc. KNIGHT et COURCIER étaient des Américains venus de St. Louis, qui arrivèrent à exploiter les mines avec succès pendant une dizaine d’années, les transformant en des entreprises assez profitables. Vers 1837, ils récoltaient jusqu’à 2 000 $ par jour. Cette prospérité avait été rendue possible grâce aux efforts d’un homme, James KIRKER, que Mc. KNIGHT et COURCIER avaient engagé comme chef de leur service de sécurité.

KIRKER était de descendance écossaise et irlandaise, il était né à Belfast en Irlande du Nord, en Décembre 1793. Il arriva aux Etats–Unis à l’age de seize ans, et fit la guerre en 1812. Plus tard, il se rendit à New-York City, où il se maria, eut un fils, et devint épicier. En 1817, KIRKER abandonna sa famille et quitta New-York, se dirigeant vers St. Louis, où il épousa de nouveau le métier d’épicier. Cinq ans plus tard, il montait à bord d’un bateau, probablement l’expédition ASHLEY-HENRY, et remonta la rivière Missouri vers le Lointain Ouest. Là, KIRKER posa des pièges pour les castors et se battit contre les Indiens, revenant de temps en temps à St. Louis pour surveiller son magasin et s’occuper des affaires. En 1824, il accompagnait les caravanes de marchands vers Santa Fe, et posait des pièges comme trappeur au fin fond du Nouveau Mexique. Les années suivantes virent KIRKER rejoindre des expéditions de trappeurs à Bent’s Fort, et travailler sur la région de la rivière Gila, allant aussi loin vers l’Ouest que sur la rivière Colorado. En 1825, il devint citoyen Mexicain et fit bientôt de Santa Rita son quartier général. Mc. KNIGHT et COURCIEr faisaient partie de ses amis depuis St. Louis, et les mines se trouvaient près des territoires où il posait ses pièges. En hiver, il faisait du trafic de fourrure. En été, il travaillait pour Mc. KNIGHT et COURCIER, dirigeant le service de garde des mines et des caravanes de « conducta ». KIRKER s’était lié d’amitié avec les Indiens au cours de toutes ses expéditions, et il était arrivé à les persuader de ne pas gêner les opérations à Santa Rita. En échange de leur coopération, il leur arrangeait des transactions au cours desquelles le bétail qu’ils volaient aux Mexicains était vendu sur les marchés de l’Est. Vers 1831, KIRKER épousa une Mexicaine, bien que sa femme fût encore à New-York, et s’installa à Janos. En 1835, il obtint un permis officiel de trappeur du gouverneur du Nouveau-Mexique Abino PEREZ. Avant cette époque, il avait piégé illégalement, chose dont les Mexicains le soupçonnaient mais qu’ils n’avaient jamais réussi à le prendre sur le fait. Ils le soupçonnaient également de trafiquer avec les Apache, un crime puni de la peine de mort. Au cours de la saison de chasse d’hiver, KIRKER découvrit que les Indiens préparaient l’attaque d’un campement de Mexicains et, peut-être pour se racheter, fit part du complot aux autorités Mexicaines. Cependant, le gouverneur CALVO, voyant l’occasion de coincer KIRKER, usa de son influence politique pour convaincre PEREZ d’annuler le permis de KIRKER, et de l’arrêter pour avoir organisé l’attaque lui-même. C’est comme dans un film de Zorro, où il y a toujours un pourri. Ca sent le Zorro. Et comme « zorro » en espagnol veut dire « renard », ça veut aussi dire que ça renarde sec. Et quand on sait comment ça sent, un renard, on dit que ça pue. Et bien. Sans se soucier de cette affaire, KIRKER partit pour Santa Fe, en emportant avec lui les fourrures prises au cours d’un hiver généreux en la matière, quand des Indiens les lui volèrent. Lorsqu’il demanda de l’aide pour récupérer ses peaux et ses mules, il s’aperçut avec surprise qu’il était lui-même recherché, avec sa tête mise à prix pour huit cent Pesos, mort ou vif. Heureusement, le soldat qui fut désigné pour le garder était un vieil ami qui l’aida à s’échapper, et il s’enfuit pour Bent’s Fort. Pendant ce temps-là, ses biens, d’une valeur de 32 900 $, finissaient dans les mains du gouverneur PEREZ, lequel empocha l’argent. Ah le salaud ! Je le savais bien, que les Mexicons étaient des tordus. Avec Pérèz, t’es de la baise, et sans chaise. Pérèz Ibèz Sanchèz ! Toutes les protestations de KIRKER ne servirent à rien. Amer, il n’oublia jamais cet événement.

Enragés par le massacre de JOHNSON, les Apache obligèrent les mines de Santa Rita à fermer. Mc. KNIGHT et COURCIER étaient convaincus que seule l’aide de KIRKER arriverait à les faire rouvrir. Vers la fin de l’été de 1837, ils lui envoyèrent un message à Bent’s Fort, où il était toujours en exil. Cette demande faisait toutefois suite à un incident qui permettrait son retour au Nouveau-Mexique. Une révolte au mois d’Août à Santa Fe se termina avec la tête du gouverneur PEREZ roulant dans le caniveau. Le nouveau gouverneur, Manuel ARMIJO, offrit l’amnistie à KIRKER et l’invita à revenir. En réponse à l’appel de Santa Rita et avant de quitter Bent’s Fort, KIRKER rassembla une armée hétéroclite de vingt et un hommes, dont beaucoup étaient des Indiens Delaware et Shawnee. Les autres étaient des hommes des montagnes d’origine américaine ou française. Il y avait un gigantesque Africain nommé « Andy ». Le lieutenant de KIRKER était un imposant demi-sang Shawnee, dont l’autre moitié était Française, qui s’appelait SPYBUCK. Tout ce que KIRKER demandait, semblait-il, était la volonté de se battre. Au fur et à mesure que la bande de racaille se dirigeait vers le Sud, KIRKER se rendait compte que ses bons rapports avec les Apache s’étaient envolés avec la fumée du canon de JOHNSON. A présent, la force restait le seul moyen de traiter avec eux.

Il connaissait un village d’environ deux cent cinquante Apache, non loin de la ville Mexicaine de Socorro. L’armée de KIRKER manœuvra en dehors du village dans l’ombre précédant l’aube et, dès les premières lueurs, frappa d’un grand coup vicieux. Comme les Indiens se levaient en vacillant de leurs couvertures, ils étaient chargés par les cavaliers, et assommés par les casse-têtes ou percés par les lances des Shawnee et des Delawares. Les hommes des montagnes firent feu de leurs fusils sur les guerriers qui atteignaient leurs poneys. Le reste des villageois s’enfuit en paniquant dans les broussailles à l’entour. En tout, les hommes de KIRKER comptèrent cinquante cinq Apache, alors qu’ils n’avaient eux-mêmes perdu qu’un homme, huit autres étant blessés. Ils capturèrent neuf femmes et quatre cent têtes de bétail. KIRKER agrippa l’un des Apache qui tentaient de s’enfuir, et lui dit de répandre la nouvelle : « Laissez les mines de Santa Rita et les caravanes de conductas tranquilles, sinon on recommence ». L’attaque eut l’effet désiré. Les harcèlements d’Apache sur les mines cessèrent. Le mot passa de bouche à oreille à travers tout le territoire, et la population auparavant accablée l’acclama comme un sauveur. Ils l’appelèrent « Don Santiago QUERQUE », « El Rey de Nuevo Mexico », le Roi du Nouveau-Mexique. L’attention que l’on portait à KIRKER pour son brillant succès resta sur l’estomac du gouverneur CALVO et déplut à l’Armée Mexicaine. Quand KIRKER se présenta à Chihuahua City avec cinquante cinq scalps, sans aucun doute il frottait le nez de certains dans des cheveux d’Apache. Mais les Mexicains avaient besoin de Don Santiago et ils le savaient. Leur armée continuait à se faire humilier par les Apache, lesquels assassinaient ouvertement des citoyens en plein jour, et tout près du palais du gouverneur. Une rapide série d’administrations d’incapables suivit la mort de CALVO en Février 1838. Puis, à l’été de 1839, des mesures plus déterminées furent prises avec le gouvernement de José Maria de IRIGOYEN, pour gérer une situation qui se détériorait rapidement. Stephen COURCIER était à présent un homme riche et influent à Chihuahua City. COURCIER se rendit chez le gouverneur avec un projet d’établir une cellule de crise dans le but de financer une armée, qui serait bien-sûr commandée par KIRKER, pour combattre les Apache. On fonderait une association qui réunirait des dons privés. Le but était d’atteindre 100 000 $. IRIGOYEN approuva son plan et chargea COURCIER de le mettre en pratique. COURCIER créa la Sociedad de Guerra Contra Los Barbaros, ou Société de Guerre Contre Les Barbares, et lança un appel à travers tout le pays ravagé pour réunir les contributions. L’argent vint de toutes parts. KIRKER reçut une avance de 5 000 $ et ne perdit pas de temps à rassembler une armée. Elle alignait cinquante hommes, comprenant les membres de son ancienne bande, renforcés de nouvelles recrues trouvées à Bent’s Fort et à d’autres endroits. Il choisit de les appeler « Old Apache Company », ou « Bonne Vieille Compagnie pour Apache ». Les hommes étaient payés un Dollar par jour, plus une part de la moitié de ce qui serait pillé. KIRKER, SPYBUCK et leur O.A.C. furent au travail avant la fin de l’été.

Se rappelant peut-être l’incident où on lui avait dérobé ses fourrures et ses mules deux ans plus tôt, KIRKER imagina un plan où un troupeau de chevaux et de mules serait utilisé comme appât pour provoquer un raid. Le stratagème fonctionna. L’histoire est relatée dans l’édition du journal New Orleans Picayune le 28 Février et le 02 Mars 1840, par Matt FIELD. Dans l’article, KIRKER est décrit comme « un homme de dispositions courageuses et téméraires à la fois ». Plus loin, il raconte comment KIRKER et ses hommes campèrent près du petit village de montagne de Ranchos de Taos et comment les Apache, sous le couvert de l’obscurité, s’approchèrent en rampant et s’emparèrent de l’appât, pensant sûrement qu’ils dévalisaient un groupe de marchands. KIRKER s’attendait à ce que les Apache, forts de quelques cent vingt braves, tenteraient de s’enfuir par un ravin qui coupait à travers la montagne. Il mena rapidement ses hommes sur les falaises et, en contournant les Apache, les déploya plus haut le long des flancs du ravin. Depuis le lieu qu’il avait choisi pour l’embuscade, on avait une vue générale de l’endroit par où passeraient les Apache. Bientôt les Apache apparurent, poussant le troupeau de bêtes volées, ignorant ce qui les attendait. Chacun des hommes de KIRKER choisit sa cible et les armes grondèrent soudain, remplissant le canyon d’une fumée bleue d’où s’échappaient les cris horribles des hommes et des chevaux. Quand la fumée se dissipa, un désordre indescriptible se déroulait en bas, avec une vingtaine d’Indiens touchés, certains se faisant traîner et d’autres piétiner par les chevaux paniqués. Les autres firent demi-tour et s’enfuirent sauvagement dans le canyon, avec l’armée de KIRKER à leurs trousses. Les Indiens fuyards cherchèrent désespérément refuge dans Ranchos de Taos. Les hommes de KIRKER les y renversèrent au sol et commencèrent à les massacrer dans les rues.

C’était encore tôt le matin, et la mêlée d’enfer tira vite de leur lit les villageois effrayés. Quelques uns des Indiens se réfugièrent dans l’église, pensant peut-être qu’ils seraient protégés par le lieu sacré. Mais les hommes de KIRKER les poursuivirent partout où ils essayaient de se cacher, et les abattirent sans façon. Le combat dura une demi-heure, et environ quarante Apache furent tués, pour deux hommes de perdus du côté de la bande à KIRKER. Dans son article, le journaliste FIELD dit de KIRKER qu’il était « brave comme un lion et un homme de grande envergure et d’une grande habileté dans ce genre de guerre ». L’armée victorieuse de KIRKER était forte de cinquante neuf hommes lorsqu’elle chevaucha par El Paso en Novembre, vers le Sud pour Chihuahua City. Bien qu’ils fussent salués en héros, ils devaient avoir un air barbare, ces hommes sauvages, barbus, avec leurs vêtements en peaux tachés de sang, les Shawnee et les Delawares à demi-nus avec leur torses ornés de rouge, certains portant une crinière noire hirsute, d’autres le crâne rasé surmonté d’un nœud dans lequel étaient lacées des plumes d’oiseau de proie. Ils portaient à leur ceinture de grands couteaux Bowie et des plus petits, des couteaux à écorcher. Beaucoup avaient un pistolet à percussion de type Kentucky, et quelques uns possédaient sûrement le nouveau Colt à cinq coups, appelé le Texas Paterson. Le casse-tête court et lourd avec lequel ils exécutaient leur travail macabre pendait à leur selle, accroché par une boucle en cuir cru. Les Indiens portaient des lances et des tomahawks bizarres. Et, posé à travers la plupart de leur selle, le gros fusil Hawken, sauf pour Andy, le géant noir, qui portait une « escopeta » chargée de chevrotines. Et là, en tête, monté sur un grand cheval bai, KIRKER lui-même, la cinquantaine et pas un petit poulet, les cheveux et la moustache grisonnants, portant un sombrero et des éperons espagnols avec de grosses et cruelles molettes. Son fameux Hawken, décoré en fantaisie au filigrane d’argent mexicain, était rangé dans son fourreau de selle. Quand la compagnie revint à Chihuahua, elle y trouva un nouveau gouverneur en place, bien qu’il portât un nom proche de celui de son prédécesseur. José Irigoyen de la O était un neveu de l’ancien IRIGOYEN et, comme son oncle, il défendait les chasseurs de scalps. Il paya rapidement KIRKER et lui prêta, à juste titre, l’arène à corridas pour que la compagnie pût y bivouaquer. Il demanda également à KIRKER d’augmenter les effectifs de son armée. KIRKLER s’exécuta et commença à recruter de nouveaux hommes. Mais les victorieux chasseurs d’Indiens, qui campaient devant tout le monde sur la Plaza de Toros, étaient la risée constante des dandy en uniforme rouge de l’Armée Mexicaine. En dépit d’une certaine rancune, les militaires ne pouvaient pas faire grand chose aussi longtemps que les hommes de KIRKER étaient efficaces.

Le problème était qu’ils pouvaient même devenir un peu trop efficaces. Selon les dispositions de l’accord signé avec la société de guerre, KIRKER avait le droit de propriété sur tout ce qu’il avait rapporté de chez les Indiens. Pourtant, les anciens propriétaires Mexicains du bétail, à présent leur terreur passée, commençaient à se plaindre et réclamaient que leur bien leur fût rendu. Des bruits se mirent à circuler, selon lesquels KIRKER prenait du bétail directement chez les Mexicains. Bien entendu KIRKER soutint le contraire, prétendant que le bétail en sa possession avait été volé par les Apache. Comme la dispute augmentait, l’opinion publique en faveur des chasseurs de scalps se mit à se détériorer, et les militaires n’hésitèrent pas à tourner l’affaire à leur avantage. Le gouverneur Irigoyen de la O mourut dans l’exercice de ses fonctions et fut remplacé en Juillet 1840 par Garcia CONDE, l’ancien Ministre de la Guerre. CONDE était issu d’une famille estimée de militaires, et l’un de ses actes fut de supprimer la Société de Guerre, décrétant qu’il était contre les intérêts nationaux que des mercenaires étrangers usurpassent le travail de l’Armée Mexicaine. CONDE se mit immédiatement à reformer sa police des frontières. Il pensait qu’une bonne démonstration de ses forces persuaderait les Apache d’arrêter leurs sévices. En essayant de négocier la paix, CONDE apprit ironiquement que la première des conditions que demandaient les Apache était l’élimination immédiate de l’armée de KIRKER. En plus de cela, on lui soumit une liste d’exigences outrageantes auxquelles CONDE n’avait pas l’intention de se soumettre. Entre temps, KIRKER partit pour Guadalupe y Calvo, une ville minière perdue dans le Sud-Ouest du Chihuahua, où il travailla comme chef de la sécurité. Sans l’armée de KIRKER, les Apache ne tardèrent pas à reprendre leurs massacres de Mexicains là où les avaient laissés. En dépit des meilleurs efforts de CONDE, les troupes mexicaines n’étaient tout simplement pas les mêmes combattants que les irréguliers de KIRKER. Quand le peuple recommença à se plaindre haut et fort, le Président Mexicain BUSTAMENTE remplaça CONDE par le Général Mariano MONTERDE en Décembre 1842.

MONTERDE ne perdit pas de temps et rappela KIRKER, lui proposant de le payer au tarif standard. La Old Apache Company ne fut pas longue à reprendre place dans l’arène. En été 1843, une caravane de mulets appartenant à J. Calistro PORRAS fut attaquée par une bande d’Apache, à environ douze miles à l’ouest de Chihuahua City. PORRAS était un riche marchand de Chihuahua et la caravane, comprenant quelques quatre vingt mules, revenait chargée de marchandises et d’alcool. Les guerriers tuèrent tous les « arrieros » sauf un, et s’enfuirent avec les mules et les marchandises. Quant l’unique survivant arriva en se traînant et raconta l’histoire à PORRAS, celui-ci se rendit tout droit à l’arène pour trouver Don Santiago. Il offrit au chasseur de scalps les mules et la moitié des marchandises s’il arrivait à trouver les pillards et les détruire. En imaginant l’argent supplémentaire que KIRKER se ferait avec les scalps, l’aventure pouvait se révéler assez lucrative. Derrière un guide Mexicain, la Old Apache Company, forte à présent de cent soixante dix hommes, chevaucha jusqu’aux lieux du massacre et trouva facilement la trace des pillards. Pendant trois jours, les hommes suivirent la piste des Apache en retraite, passant à côté des carcasses de mules mortes d’épuisement et de paquets de marchandises abandonnés en cours de route. Le troisième jour, SPYBUCK localisa le campement Apache. Il rapporta à KIRKER qu’il y avait quarante trois guerriers et que, se croyant hors de danger, ceux-ci avaient puisé dans l’alcool et commençaient à se soûler. Les poursuivants attendirent que les Apache fussent imbibés jusqu’à l’oubli total. Puis KIRKER et la moitié de ses hommes rampèrent aisément à l’intérieur du camp et leur coupèrent la gorge. Avant de revenir en ville, cependant, KIRKER proposa une chose à ses hommes. Il savait qu’un grand village d’Apache, d’un millier d’habitants, se trouvait à trois jours de cheval de l’endroit où ils étaient. Il proposa d’attaquer le village, dont les scalps et le bétail viendraient s’additionner en une petite fortune. Les hommes approuvèrent très vite. Dans la pénombre précédant le petit matin, presque tout le monde au village dormait ou était encore abruti.  Les deux compagnies pénétrèrent dans le village, attendant le coup de sifflet de KIRKER qui devait donner le signal de l’attaque. Soudain, un coup de feu claqua avant que tous les hommes de fussent prêts. Alors qu’il rampait à l’intérieur du village, Andy avait été surpris par un Apache qui sortait de sa hutte au mauvais moment. Le Noir avait saisi son escopette et appuyé sur la détente. Chasseurs et guerriers prêts ou non, le combat débuta. Les hommes saccageaient tout dans le village, provoquant un horrible carnage parmi les habitants encore à moitié endormis. Ils tuèrent sans distinction. Les guerriers surpris furent abattus par des armes à feu, les femmes et les enfants étaient massacrés à coups de casse-tête, de couteaux et de hachettes. Beaucoup d’Apache qui arrivèrent à sortir des mains des hommes de KIRKER s’enfuirent en paniquant vers le lac, et s’y noyèrent. Quelques uns parvinrent à gagner le parc à chevaux et à s’enfuir. D’autres se réfugièrent dans les collines avoisinantes. Lorsque le combat cessa, les Shawnees se mirent à l’œuvre avec leur couteau à scalper, pendant que d’autres rassemblaient le bétail, qui comprenait presque un millier de chevaux et de mules. Les hommes travaillaient vite, voulant en avoir fini avant que les Apache n’aient le temps de se regrouper et de contre-attaquer. On retrouva le guide Mexicain mort. SPYBUCK ordonna qu’il fût scalpé comme les autres. Quelques hommes protestèrent, mais SPYBUCK leur dit que, puisqu’il était mort, ses cheveux ne lui servaient plus à rien et son scalp pouvait passer pour celui d’un Apache et rapporter cent Pesos. Il était de notoriété publique que KIRKER n’était pas contre le fait de prendre, quand l’occasion s’en présentait, le scalp d’un Mexicain ou d’un Indien ami. En plus des scalps, des chevaux et des mules, la compagnie prit dix neuf femmes Apache en captivité, trois cent chèvres et brebis, et libéra une multitude de femmes et d’enfants Mexicains qui avaient été retenus prisonniers par les Apache. Quand les chasseurs de scalps revinrent en ville, Chihuahua City se mit en effervescence à force de fête. Le bruit avait précédé les hommes, et ils furent accueillis par un orchestre d’instruments à vent et des milliers d’admirateurs souriants. On présenta une mule chargée de cent quatre vingt deux scalps au gouverneur, lequel exultait et fit un discours vantant cette grande victoire sur la menace Apache. Après que l’on fît à nouveau prendre à la compagnie ses quartiers dans l’arène, KIRKER se rendit chez PORRAS et le gouverneur MONTERDE. PORRAS était content et s’acquitta de sa parole d’une manière satisfaisante, mais le gouverneur renia la promesse qu’il avait faite de payer. Il dit à KIRKER qu’il n’y avait malheureusement pas assez d’argent dans le trésor public pour couvrir les scalps. Les caisses ne contenaient qu’environ deux mille Pesos, soit un peu plus de dix pour cent que ce que le gouvernement devait. De plus, il y avait un problème avec le bétail, dont les anciens propriétaires demandaient que leurs animaux leur fussent restitués.

KIRKER lui rappela que leur contrat lui accordait la propriété de tout le bétail qu’il pouvait prendre au cours d’un raid, mais le gouverneur haussa tout simplement les épaules et dit qu’il n’y avait rien qu’il pût y faire. Lorsque KIRKER mit ses hommes en face de la tournure que les événements avaient pris, ils se mirent en colère jusqu’à la limite de la révolte. Ils traitèrent le gouverneur de traître pourri. SPYBUCK dit qu’il tuerait tout Mexicain qui ne ferait même que toucher l’un des animaux capturés. En réponse, MONTERDE appela l’armée. SPYBUCK et plusieurs autres de la compagnie s’apprêtèrent à se battre, s’estimant apparemment à armes égales à raison de cent chasseurs de têtes contre huit cent soldats Mexicains. Pourtant et avant qu’un coup de feu ne fût tiré, SPYBUCK se fraya un chemin à travers les rangs de l’armée Mexicaine et lança un ultimatum au gouverneur : « Tu lèves la mise ou tu meurs ! » Peut-être MONTERDE avait-il fait le même genre de pari. En tous cas, il s’inclina. SPYBUCK et les autres prirent leur part de butin dans le bétail et, prenant congé de KIRKER, quittèrent Chihuahua City pour Bent’s Fort. KIRKER resta au Mexique pendant quelque temps. Il accepta les deux mille Pesos du gouverneur et quitta la ville avec les quelques hommes qu’il lui restait, sentant qu’il avait été trahi par les Mexicains une fois de plus. Au regard de ce traitement, il est presque incompréhensible qu’à l’été de 1846, il chassait à nouveau les scalps pour le gouvernement du Chihuahua, cette fois sous l’administration de Angel TRIAS, lorsqu’il se rendit responsable des scalps que RUXTON avait vus décorer la cathédrale.

Il est difficile d’expliquer le désir répété de KIRKER de reprendre du service chez les Mexicains, après qu’ils l’eussent roulé tant de fois. Certains disent qu’il éprouvait une certaine loyauté pour sa patrie d’adoption, ce qui n’est pas croyable compte tenu de son implication du côté américain lors de la Guerre du Mexique. D’autres prétendent que sa famille, puisqu’il avait à cette époque cinq enfants avec sa femme Mexicaine, vivait toujours à Chihuahua, et qu’il se sentait concerné par leur bien-être. D’autres encore disent que la chasse aux scalps était la seule chose de rentable à faire dans la région, et que KIRKER n’avait jamais abandonné l’espoir de pouvoir un jour récupérer ce qu’on lui devait. N’importe comment, KIRKER avait à présent cinquante ans, un âge où la plupart des hommes de ce genre envisageaient sérieusement de laisser tomber leurs pertes et la vie violente. Mais KIRKER n’était pas vraiment prêt pour le rocking chair. Plus tôt la même année, le Président POLK avait déclaré la guerre au Mexique, et le gouverneur TRIAS, parfaitement conscient de ce que la défection de KIRKER signifierait pour Chihuahua, lui offrit au chasseur de scalps une place de colonel dans l’Armée Mexicaine. KIRKER répondit qu’il y réfléchirait. Au même moment, les Missouri Volunteers du colonel DONIPHAN venaient de capturer Santa Fe et marchaient vers le Sud. KIRKER ne réfléchit pas longtemps. Avec ses hommes, ils quittèrent le Mexique pour rejoindre les Missouriens de DONIPHAN, mais pas avant d’avoir soigneusement étudié les positions de l’Armée Mexicaine au Chihuahua. Peut-être KIRKER pensait-il soutirer en chair ce que les Mexicains lui devaient en argent. En tous cas, il fut éclaireur pour DONIPHAN et se battit à la bataille de Sacramento pour prendre Chihuahua City. KIRKER joua un rôle crucial dans cette bataille, menant cinq hommes à la charge en terrain ouvert contre un canon ennemi fortement défendu, et le détruisant en ne perdant qu’un seul homme. L’histoire démoralisa tellement les soldats Mexicains qu’elle offrit aux Américains une victoire facile. La part qu’avait joué KIRKER dans la défaite des Mexicains enragea tellement le Colonel TRIAS, que celui-ci offrit une prime de 10 000 $ pour la capture de l’ancien chasseur de scalps, mort ou vif. Cette prime resta valide jusqu’à la fin de la vie de KIRKER, qui ne revint jamais au Mexique. En 1847, KIRKER visita St. Louis et fut traité comme un héros de l’Ouest. Tous les journaux couvraient son arrivée. Une histoire dans l’un d’eux le créditait d’un total général de quatre cent quatre vingt sept Apache tués, pour la perte de seulement trois hommes. En automne, il retourna au Nouveau-Mexique où il géra un hôtel pendant quelque temps à Santa Fe. Mais la vieille vie de la chasse à l’Indien l’appelait, cette fois dans le Sud du Colorado, où il prit part à une campagne pour pacifier les Apache Jicarillas. En 1849, il conduisait une expédition à travers les plaines de Californie pour chercher de l’or. Un an plus tard, il vivait dans le Conté de Contra Costa, Californie, où il semble qu’il subvenait à ses besoins comme chasseur. Il y mourut à la fin de 1852 ou au début de 1853, de causes naturelles à ce que l’on dit.

Aujourd’hui, James KIRKER est aussi diffamé que loué, peut-être à juste titre. Mais en toute honnêteté, et sans défendre la chasse aux scalps et sa cruauté, il faut comprendre qu’il était le fruit de son temps et de l’endroit, et il ne peut donc être jugé qu’avec cet état de fait à l’esprit. Malgré tout ce qu’on a dit de lui, c’était un homme résolu, déterminé et courageux, et il combla un besoin qu’il n’avait pas créé lui-même. En tous cas, la chasse aux scalps culmina vers 1850, quand des hommes forgés par la Guerre du Mexique prirent la suite des affaires, et elle dura en quelque sorte jusque dans les années 1880. Les Apache ne furent pas défaits avant 1866, par le Général George CROOK. Mis à part quelques succès limités et éphémères, la chasse aux scalps ne fut jamais un moyen efficace pour régler le problème Apache. Elle ne fut jamais officiellement reconnue par le gouvernement Mexicain. Tous ses critiques prétendent qu’en plus d’être immorale et répréhensible, elle envenima la situation. Elle permit certainement de retourner les Apache contre les Anglos et à la fin, elle ne provoqua rien d’autre que de l’angoisse des deux côtés. Bref, ce fut une mesure désespérée, prise par des hommes désespérés à une époque désespérée.

Huit ans après le premier article, le même homme, sur lequel on a cherché depuis à en savoir plus, n’est donc plus présenté comme un vrai fumier. On essaye de le comprendre. C’est maintenant un homme de l’Ouest comme les autres, comme il y en eut tant. Bon d’accord, il a un peu massacré traîtreusement des Indiens pendant qu’ils dormaient ivres-mort, il en a sûrement tué dans le dos, mais ce n’étaient que des Indiens, et des mauvais en plus, de ceux qui massacrent les bons Blancs venant les envahir et qui leur volent leur bon whisky. Et puis, vendre un scalp de Mexicain pour un scalp d’Indien, ça fait quoi comme différence, au juste ? Un bon mexicon est un mexicon mort, la preuve c’est que les mexicons vont le rouler tout le temps. En plus, il reste à Chihuahua parce qu’il aime sa femme et ses cinq gosses, donc c’est un brave type. Mais il n’a toujours pas divorcé avec sa vraie femme, c’est-à-dire la seule légitime, celle qu’il a laissé à New-York en 1817. Faut dire qu’en dix ans, son ancienne bonne femme avait eu le temps de se faire une raison et comprendre qu’il ne reviendrait sûrement plus. Et puis on a presque pitié de lui, quand il se fait niquer sans arrêt par les mexicons. Faut pas déconner, on se crève le cul à courir après des Indiens, on se fait chier à les buter à coups de casse-tête ou en gaspillant de la bonne poudre et des bonnes balles, on se salit les pattes à découper leur cuir chevelu et à l’arracher, en risquant d’attraper des poux ou des maladies en plus, après ça on se salit les fringues, ça pue sous le soleil du désert mexicain le temps qu’on rentre, c’est plein de mouches qui viennent dessus, en plus faut les préparer ces scalps, faut les saler pour qu’ils pourrissent pas, et le sel ça brûle dans les coupures ou les blessures qu’on s’est faites aux mains en les scalpant, et en plus, quand on rentre enfin au bercail pour se saoûler la gueule, ces fainéants de mexicons qui passent leur temps à faire la sieste allongés sur le sol, un sombrero sur le neeeeez, en guise, en guise, en guise de parasol, ils trouvent le moyen de pas nous payer.

COLT CONTRE ADAMS

Traduction d’un article de Garry JAMES paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1993

Le Colt Navy était un revolver de belle figure tirant six coups, qui suivait le concept de la carcasse ouverte de ses prédécesseurs.

Longueur du canon :     7,5 pouces ( 19,05 centimètres )

Longueur totale :          12,9 pouces ( 32,77 centimètres )

Poids :                         39 onces ( 1,1056 kilogramme )

Calibre :                       .36 centièmes de pouce ( 9,14 millimètres )

Capacité :                    6 coups

Vitesse initiale : 700 fps ( 213,36 mètres par secondes )

Le revolver Deane, Adams & Deane était élégant, presque entièrement fait-main, tirant cinq coups, et jeta les fondations pour les générations futures de revolvers à double action.

Longueur du canon :     6,5 pouces ( 15,92 centimètres )

Longueur totale :          11,5 pouces ( 28,17 centimètres )

Poids :                         30 onces ( 0,850 kilogramme )

Calibre :                       .44 centièmes de pouce ( 10,78 millimètres )

Capacité :                    5 coups

Vitesse initiale : 550 fps ( 167,64 mètres par secondes )

Pensez-vous que la controverse entre la simple action et la double action est quelque chose de nouveau ? Pas du tout. Toute l’histoire remonte à 125 ans, vers une chamaillerie entre un fabricant de revolvers Yankee du nom de Samuel COLT et un inventeur de revolvers Anglais du nom de Robert ADAMS. Comme le sait tout amateur d’histoire des armes à feu, Sam COLT inventa le premier revolver vraiment pratique, le modèle Paterson 1837. L’arme ne fût pas un succès total, mais COLT continua à améliorer le système et, quelque vingt quatre ans plus tard, sortit son revolver modèle 1851 Navy, un descendant pas très lointain des gros modèles Dragoon en calibre .44, et des petits Pocket 1849 en calibre .31. Le Navy .36 gardait cependant quelque chose de ses ancêtres : une taille pratique, maniable, combinée à un calibre raisonnablement efficace. Ce six-coups à simple action possédait un canon de 7,5 pouces, il mesurait 12 pouces trois-quarts en tout et pesait 39 onces. Tout comme le Pocket 1849, le Navy devint immédiatement célèbre. L’entreprise de plus en plus florissante du Colonel COLT étendit ses ramifications à l’Angleterre, où il exposa lors de la Grande Exposition au Crystal Palace en 1851. Sa présentation au gouvernement des Etats Unis fit l’objet d’une attention considérable, et ceci au grand déplaisir d’ADAMS. Le fabricant d’armes Anglais avait conçu un revolver à double action, qu’il avait lui-même appelé « à armement autonome », qui était aussi une arme de haute qualité et qui, dans son sens, était tout aussi pratique que le Colt. Contrairement au Colt, le Deane, Adams & Deane modèle 1851 possédait une carcasse fermée mais pas de levier sur le chien, puisqu’il fonctionnait à double action. Il n’avait pas non plus le bouclier du Colt, mais bien que les capsules pussent être projetées vers l’arrière en cas de départ en série, on ne considéra pas cela comme un défaut majeur. Alors que le Colt possédait un levier de chargement fixé sous le canon, le revolver Adams utilisait des balles qui sortaient du moule avec une petite pointe à l’arrière, sur laquelle on piquait une petite bourre de feutre graissé. On pouvait alors enfoncer le projectile dans la chambre, sur la charge de poudre et avec les doigts. ADAMS, tout comme COLT, pensait que son système était supérieur, et on dit que, lors d’un discours que faisait COLT à devant l’Institute of Civil Engineers, ADAMS l’interrompit brusquement en se levant, brandissant son revolver et commençant à vanter à toutes les personnes présentes les mérites de son arme. La controverse ne s’arrêta pas là, mais continua jusqu’à devenir le point de départ d’un débat enflammé entre les partisans de l’un des systèmes et ceux de l’autre pendant des années. En fait, elle atteignit une telle intensité que, dans son récit « Bartleby », l’auteur Herman MELVILLE choisit de donner comme noms à un avocat et à son obstiné secrétaire ceux de Colt et d’Adams.

Les deux armes eurent leur baptême du feu lors de la Guerre de Crimée de 1853 à 1856, mais les officiers restèrent divisés sur leur opinion quant à leurs avantages et leurs inconvénients. Au cours de ce conflit, le Capitaine J.G. CROSSE du 88ème. Régiment à Pied écrivit à ADAMS : « J’avais l’un des modèles de vos Pistolets-Revolvers à grosse carcasse pendant la sanglante bataille d’Inkermann, et je fus par hasard encerclé par les Russes. C’est là que je découvris les avantages de votre pistolet sur un Colt parce que, si j’avais été obligé d’armer avant chaque coup, j’aurais perdu la vie. Je n’aurais pas eu le temps d’armer, car ils étaient trop près de moi puisqu’ils se trouvaient à quelques yards, si près d’ailleurs que je fus blessé par un coup de baïonnette à la cuisse immédiatement après avoir abattu le quatrième homme ». Il est intéressant de noter que le British Board of Ordnance essaya le Colt et l’Adams et donna sa préférence au premier, l’adoptant en fait pour en doter les sergents des régiments de Lanciers. Alors que le Deane, Adams & Deane continua à être fabriqué pendant des années en calibres .50, .44 et .36, Robert ADAMS, reconnaissant apparemment les avantages de la simple action pour un tir posé, sortit une arme fonctionnant en simple et en double action en 1855. Cette arme, appelée Beaumont-Adams parce qu’elle intégrait le mécanisme conçu par F.B.E. BEAUMONT, était également équipée d’un levier d’armement sur le côté. Le revolver Beaumont-Adams fut finalement adopté par les forces de Sa Majesté. Ceci balaya pratiquement pour COLT tous les espoirs de commerce lucratif en Angleterre, et en 1857 il cessa toutes les opérations de son usine de Londres qui avait ouvert à peine quatre ans plus tôt. Ceci ne veut pas dire que la fermeture de ses établissements de Londres marquèrent la fin de son influence en Grande-Bretagne, loin de là. Ses armes, autant celles qui fonctionnaient à percussion que celles qui utilisaient des cartouches, et particulièrement à double action, continuèrent de rester des objets très populaires chez les acheteurs Anglais. Je dois l’admettre, j’ai toujours trouvé la controverse entre les Colt et les Adams particulièrement intéressante, car elle a marqué le premier choc, non seulement entre deux types de systèmes, mais ce fut aussi le premier vrai test entre des armes à feu fabriquées en usine, c’est-à-dire les Colt, et celles qui étaient plutôt faites à la main, les Adams. En fait, à l’époque, on disait généralement que, si le Navy 1851 était une pièce de mécanique d’aspect solide, le Deane, Adams & Deane était une arme plus raffiné et mieux finie. Pour être honnête, j’ai pu examiner des exemplaires en excellent état de Colt et d’Adams et je n’ai trouvé de défauts sur aucun d’eux en matière de finition. Par chance, nous avons pu avoir un Deane, Adams & Deane d’origine en .44, et une des répliques du Colt 1851 de chez Cimarron Repeating Arms Co., Dept. DA, 1106 Wisterwood # G, Houston, TX 77043. Comme vous pouvez le devinez, des essais s’imposaient.

La première affaire fut de préparer des munitions. Par bonheur, notre Adams venait dans un coffret avec tous ses accessoires, et il s’est donc simplement agi de couler quelques balles et de découper quelques bourres de feutre à l’emporte-pièce, qui furent ensuite graissées avec du Young’s Country 303. Comme les balles du Colt étaient plus courantes que celles de l’Adams, nous avons opté pour les balles déjà coulées de chez Lyman en .375 pour le Navy 1851. Les séries ont été tirées à bras franc à 15 yards, soit environ à la distance de combat moyenne. On charge le Colt en commençant par faire partir une capsule sur chaque cheminée pour s’assurer que les lumières sont propres. Puis on introduisit dans chaque chambre une charge pré-mesurée de 25 grains de FFFg, et une balle posée sur le bout de la chambre fut enfoncée avec le levier de chargement qui se trouve sous le canon. Nous avons ensuite mis de la graisse sur la balle pour éviter tout départ en série pouvant être provoqué par la communication du feu d’une chambre à l’autre par l’avant. Enfin, les capsules furent mises en place et l’arme fut prête à tirer. Aux premières impressions, la tenue en main était très bonne et l’équilibre excellent. En dépit du fait que la hausse se limite à une encoche dans le chien, elle fut assez efficace et nous a donné une image plus qu’adéquate pour viser. Le recul était très léger et le fonctionnement satisfaisant. Nous avons eu le coup de la capsule qui tombe dans le mécanisme par l’espace situé entre le chien et le bouclier, et l’arme fut effectivement enrayée jusqu’à ce que nous arrivâmes à faire tomber la capsule en retournant le revolver et en le secouant. Sur environ vingt quatre coups tirés, l’incident ne se produisit qu’une seule fois, mais en situation de combat, ce genre d’enrayage devait être un petit peu plus grave que simplement énervant. Le Navy a mérité sa réputation de bonne précision, donnant des groupements de trois pouces et demi à quatre pouces et demi. L’arme tirait effectivement haut, comme elle était réputée le faire.

Venons-en maintenant au Deane, Adams & Deane. En ce qui concerne le chargement des projectiles, la procédure est la même que pour le Navy, sauf qu’à la place de mettre le chien au demi-armé comme sur le Navy, l’Adams possède une « sécurité » à ressort sur le côté de la carcasse, que l’on repousse après avoir tiré le chien vers l’arrière un tout petit peu. On rabat ensuite la chien sur la sécurité et le barillet est libre de tourner tout seul. Nous avons poussé des balles avec leur bourre dans les chambres, sur des charges de 30 grains FFFg à chaque fois, puis les capsules ont été posées et l’arme était prête à tirer. La queue de détente est bien arrondie, donnant une bonne prise. Le poids du départ en double action est extrêmement doux, et le recul est à peu près le même que celui du Colt. L’échancrure dans le haut de la carcasse à l’arrière, couplée avec le guidon à l’avant, donne une très bonne visée. Le fonctionnement était excellent, mais nous avons remarqué que le recul permettait aux balles de glisser vers l’avant dans les chambres, au point que le barillet s’enraya au bout de quatre coups et les balles qui restaient ont du être repoussées à leur place. La précision était bonne bien que n’atteignant pas celle du Colt, nous donnant des groupements de cinq pouces, pratiquement à la hauteur du point visé. Dans l’ensemble, la sensation laissée par l’Adams fut celle de délicatesse et de raffinement, alors que le Navy possède une tenue caractérisant un outil pratique conçu intelligemment. Alors que l’Adams était bien fait et fonctionna parfaitement, le fait qu’il ne pouvait tirer qu’en double action rendait le tir intentionnel limité. Le tir rapide était plus facile cependant, c’est-à-dire qu’il l’aurait été si l’une des balles n’avait pas stoppé l’expérience en glissant vers l’avant. Si je devais choisir entre les deux, je pencherais pour le Colt, car je suis plus certain qu’il ne m’aurait pas lâché en cas de situation difficile. Dans ce cas, le plus simple est le mieux. Normal qu’il préfère le Colt, c’est un amerloque qui écrit et, même si depuis l’Indépendance des Etats Unis de 1776 où ils ont foutu les britiches dehors, les amerloques et les « cousins » se sont toujours entendus pour faire chier le reste de la Terre, ça reste un nationaliste pur et dur, comme d’ailleurs la plupart des amateurs d’armes et de Western. Sauf qu’il reproche au Adams de s’enrayer à cause d’une balle qui glisse vers l’avant, alors qu’on peut re-passer le doigt gauche dessus juste avant de tirer, quand une capsule qui reste coincée derrière le chien du Colt met l’arme hors de service pour un moment et permet au malpoli à quatre ou à deux pattes qui est en face de se servir de toi comme il le veut, soit de bifteck, soit de banquier, soit d’épicier, soit même de bonne femme… Notons au passage que le revolver Adams possédait en plus un guidon dérivable sur queue d’aronde et un petit réceptacle à la base de la crosse pour y loger des capsules de rechange, des gadgets inutiles sur la frontière dont le Colt se passait bien et qui n’ont sûrement pas manqué d’influer sur le prix de revient et les ventes. Robert ADAMS lui-même a bien du se rendre compte des inconvénients de ses armes, puisqu’il équipa bientôt ses double action d’un chien à levier et, comme nous l’avons mentionné précédemment, que le revolver mixte à simple et à double action Beaumont-Adams, qui possède un levier d’armement sur le chien, remplaça totalement le vieux « double action seulement ». Les Colt et l’Adams sont tous les deux des armes innovatrices pour l’époque, et beaucoup de leurs particularités se retrouvent sur les armes avec lesquelles nous tirons aujourd’hui. Pas trop mal après cent cinquante ans.

LE FAMEUX RIFLE MATCH DE 1874 A CREEDMOOR

Traduction d’un article de Bob SMITH paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1987

Creedmor – 1874 : L’histoire incroyable et fascinante de la première victoire de l’Amérique dans un concours de tir international. L’année 1874 servira de repère pour le tir de compétition en Amérique, parce que, voyez-vous, les Etats Unis étaient brusquement devenus la vedette du tir international, et cet événement impressionnant aura bientôt prouvé que l’Amérique était capable de se battre à un niveau de compétition mondial.

« Aux tireurs d’armes d’épaule des Etats Unis…» Ces mots furent le premier contact de l’Irish Rifle Team aux tireurs américains pour un challenge international en 1873. Le Major Arthur B. LEACH, capitaine de l’équipe du Irish Rifle, avait lancé le défi « aux tireurs d’armes d’épaule des Etats Unis » par une annonce dans le New York Herald, pour tirer un concours en Amérique et créer un championnat du monde ! La période des années 1800 est remplie d’histoires d’armes à feu, de chasse, et de tir, pour ce pays relativement jeune qu’était l’Amérique. Les armes à feu avaient été des outils de tous les jours pour les premiers colons, le tir à la cible était déjà devenu une tradition américaine, et l’adresse était une qualité que les Américains admiraient et à laquelle ils aspiraient. On apprenait aux femmes à se servir d’une arme pour l’auto-défense, on enseignait aux jeunes garçons les rudiments du maniement des armes en toute sécurité, et on les éduquait constamment pour les perfectionner en matière de précision dans leur façon de tirer. Pour le tireur, pour le chasseur, ou pour l’amateur d’armes, c’était vraiment là une époque formidable pour y vivre et en faire partie. Entre-temps, de l’autre côté de l’Atlantique, les tireurs puristes en costume des îles britanniques se mesuraient depuis de nombreuses années dans des compétitions à longue distance. Les Anglais avaient un excellent stand à 1000 yards à Wimbledon, qu’ils utilisaient régulièrement, et en 1862, les Britanniques remirent le Elcho Shield Trophy comme récompense aux Ecossais pour avoir gagné le concours. Ce match à longue distance, qui devint un événement sportif annuel fameux, se jouait à 800, à 900 et à 1000 yards. Le vainqueur se voyait décerné le Elcho Shield Trophy et le titre de Champion des Iles Britanniques.

Avant 1865, on avait refusé a l’Irish Rifle Team le droit de participer à Wimbledon, parce que l’Irlande était à cette époque en rébellion contre la Couronne. Pourtant, en 1865, les Irlandais furent invités à la compétition. Ils acceptèrent et présentèrent ensuite une équipe chaque année. En 1873, l’équipe du Irish Rifle Team ne réussit pas non seulement à remporter le Elcho Shield Trophy, mais atteignit un tel score contre l’Angleterre et l’Ecosse, qu’elle exprima l’opinion publique en disant qu’elle était peut-être la meilleure du monde ! Ce n’était pas là une simple petite déclaration, car les matches de Wimbledon étaient considérés par beaucoup comme les démonstrations d’habileté les plus importantes du monde. En effet, on considérait souvent ouvertement un vainqueur à Wimbledon comme le champion du monde anglophone. C’est pourquoi, l’équipe irlandaise pensait que, si elle devait être LA championne du monde, il lui fallait lancer un défi aux tireurs américains et en sortir victorieuse. En 1873, la N.R.A. ( National Rifle Association of America ) n’avait que deux ans et n’était manifestement pas présente sur la scène des tireurs internationaux, car les Irlandais ne savaient même pas à qui adresser leur défi officiellement. C’est pourquoi, le Major LEACH, ignorant l’existence de la toute nouvelle N.R.A., fit placer une annonce dans le journal New York Herald, dans l’optique d’un effort sincère pour attirer l’esprit sportif de l’Amateur Rifle Club de la ville de New York. La N.R.A., apparemment froissée, ignora le défi, mais l’Amateur Rifle Club, dans un élan audacieux, l’accepta en Février 1874. Les bases étaient donc en place pour le premier match international à l’arme longue aux Etats Unis d’Amérique. Les modalités du match et l’ordre de tir étaient les suivants : Les équipes irlandaise et américaine seraient composées chacune de six tireurs. Les tirs s’effectueraient en quinze coups pour chaque équipier, de 800, 900 et 1000 yards, à un endroit et une date à déterminer par l’Amateur Rifle Club de New York. Le recul est bien sûr un merveilleux chroniqueur dans l’histoire, et cet événement mondial, vu selon nos standards actuels, nous donne un aperçu précis sur l’esprit colonial, sinon la ténacité américaine des premiers jours. Car voyez-vous, les tireurs qui acceptaient le défi de l’Irish Rifle Team n’étaient en fait qu’un mélange de purs amateurs issus d’un club de moins de soixante-dix membres, et aucun d’eux n’avait jamais tiré à 600 yards ou plus loin !

En effet, l’année précédente ( 1873 ), le club n’avait tiré que cinq matches à juste 500 yards ! En plus d’un manque d’expérience, de matériel et de réputation en longue distance, les américains avaient encore à choisir l’équipe de leurs représentants nationaux. Rappelez-vous, le match n’était loin que de sept mois ! La presse s’empara immédiatement de l’affaire et s’empressa de tenter de tourner l’événement en ridicule. Il faut garder à l’esprit qu’il y avait beaucoup d’immigrants irlandais en Amérique à cette époque, et leur fierté nationale dépassait de loin leur restants de patriotisme. Dans leur idée, il n’y avait aucune possibilité que l’équipe américaine, dont les membres restaient à choisir, pût vaincre la grande équipe de tir irlandaise. Après tout, les membres de l’équipe irlandaise étaient des tireurs internationaux confirmés, et ils venaient juste de gagner contre les meilleurs tireurs à longue distance d’Angleterre et d’Ecosse. En plus de cela, l’équipe irlandaise tirait avec des armes fabriquées par l’un d’eux, le fameux John RIGBY. Ces superbes carabines, en calibre .45, étaient équipées d’excellents dioptres réglables à vernier pour la hauteur et, à l’avant, de guidons sous tunnel d’une très haute qualité. Vraiment, les carabines Rigby étaient considérées comme les meilleures armes de match du monde à l’époque. Tous ces ingrédients, issus de compétitions à l’étranger, venaient s’ajouter à un niveau d’adresse pour le moins impressionnant, et semblaient vouloir indiquer que les tireurs étaient supérieurs.

Si l’esprit de fraternité des tireurs américains fut intimidée par le bagage impressionnant de l’équipe irlandaise, son agressivité et son sérieux ne le montrèrent certainement pas. Mais, comme pour rendre l’événement encore plus difficile, l’équipe de l’Irish Rifle Team posait quelques conditions avant d’entreprendre son voyage à travers l’Atlantique. Premièrement, l’équipe américaine devrait utiliser des armes fabriquées en Amérique. Deuxièmement, tous ses membres devraient être des citoyens Américains nés en Amérique. Et troisièmement, l’équipe des Etats Unis devrait avancer la mise de 100,00 Livres Sterling, soit 500,00 Dollars Américains, en dépôt légal comme assurance que l’équipe irlandaise rencontrerait bien les meilleurs tireurs d’Amérique. L’un après l’autre, toutes les conditions du défi furent remplies pat les américains. La firme E. Remington & Sons fut d’accord pour fabriquer des carabines de match capables de précision constante à longue distance, pour la moitié de l’équipe américaine. En plus de cela, elle accepta de faire don de la moitié des 500,00 $ réclamés pour l’enjeu. La firme Sharps Rifle Company accepta également de fabriquer et fournir à la moitié de l’équipe américaine les meilleurs carabines que ses ateliers pourraient le faire et, comme Remington, elle ferait également don de la moitié de la mise de 500,00 $.

Pendant tout le printemps et l’été de 1874 , on procéda aux sélections et l’équipe américaine fut formée. Les six membres de l’équipe des Etats Unis furent : Henry FULTON, G.W. YALE, John BODINE, H.A. GILDERSLEEVE, L.L. HEPBURN et T.S. DAKIN. Le 26 Septembre 1874 fut la date choisie pour le prestigieux événement sportif. Le match se tirerait sur le stand de Creedmoor, sur Long Island. Creedmoor était plutôt un pâturage, en comparaison de Dollymount en Irlande, où l’équipe irlandaise tirait habituellement. La législation de New York de 1871 autorisait l’achat et la construction par promulgation et publication de l’acte. L’Etat de New York acheta le terrain, la National Rifle Association finança cinq mille dollars pour la construction du pas de tir, et la municipalité des villes de New York et de Brooklyn contribuèrent chacune aux dépenses. Le Général George WINGATE fut chargé de la conception et de la supervision de la construction du pas de tir, pour lequel on s’inspira du stand de Winbledon en Angleterre. Le stand de Creedmoor, âgé de seulement deux ans, serait donc ainsi le premier en Amérique où se tirerait un match international.

Les frères REMINGTON confièrent à leur très compétent Mr. HEPBURN la fabrication d’une carabine pour la longue distance. Lewis L. HEPBURN était le directeur général du service technique, il était aussi un tireur de grande renommée, et il était appelé à devenir l’un des membres de la première équipe américaine à Creedmoor. Comme base pour la carabine de précision Remington, HEPBURN choisit le fameux système à bloc roulant. Il conçut également une combinaison de guidon sous tunnel réglable en latéral pour le vent, et d’un dioptre à vernier à l’arrière. Ces carabines de tir Remington « Rolling block » furent mises en bois avec une crosse munie d’une poignée pistolet pour améliorer la tenue à longue distance. Ces accessoires, combinés à l’excellent mécanisme du bloc roulant de HEPBURN, donnèrent une carabine de tir de précision d’une extrême qualité.

Plus tard, la firme Remington & Sons lui donnerait le nom de « Carabine Remington Creedmoor ».

La contribution de la firme Sharps Rifle Company à la première épreuve de tir internationale de l’Amérique se matérialisa dans la carabine Sharps Modèle 1874, ce qui en fait était une fausse appellation puisque l’arme avait été mise sur le marché en 1871. Cette arme avait surtout été utilisée par les chasseurs de peaux dans l’Ouest. Les chasseurs de bisons connaissaient sa précision pour le tir à moyenne distance, et ils lui donnèrent une telle réputation qu’en 1876, le sobriquet de Old Reliable ( « La vieille sur qui on peut compter à tous les coups » ) fit partie des marquages sur le modèle « 74 Sport ». Comme la Remington, la Sharps était chambrée pour la cartouche de calibre .44, chargée de 90 à 100 Grains de poudre noire sur une balle de 550 Grains légèrement durcie, probablement à 1 pour 50, avec une douille rallongée de deux pouces et quart à deux pouces cinq huitièmes pour pouvoir contenir le supplément de charge. La carabine Sharps Creedmoor était une superbe pièce de tir, pesant dix bonnes livres, avec un canon de trente quatre pouces équipé à l’avant d’un guidon sous tunnel et d’un niveau à bulle. A l’arrière, le dioptre à vernier était réglable jusqu’à 1300 yards. Pour compléter le tout, la détente de la carabine Sharps était nette, partant à exactement trois livres.

Les carabines destinées à cet événement furent livrées aux compétiteurs au début du printemps de 1874. La révélation au public de ces carabines Creedmoor spécialement faites, attira toute une volée de critiques car, voyez-vous, ces armes que l’on venait de faire se chargeaient par la culasse ! La plupart des tireurs des années 1800 étaient persuadés que seule une arme se chargeant par la bouche serait capable d’atteindre le summum de la précision, si nécessaire au tir de compétition à longue distance. Dans cette période de l’histoire, les armes se chargeant par la culasse étaient une nouveauté pour les tireurs conservateurs et, franchement, on ne les acceptait pas sur le pas de tir comme quelque chose de vraiment fiable en matière de précision.

Faisant fi des railleries, des sarcasmes, et des remarques méprisantes que crachait à chaque fois le public, l’équipe américaine s’entraînait assidûment, espérant tout le temps que leurs efforts donneraient quelque chose de crédible contre la tant redoutée Irish Rifle Team. Ainsi, le scénario était bouclé pour l’un des plus grand évènements en matière de tir dans l’histoire du monde ! Pourtant, il s’agissait là de quelque chose de plus qu’une simple compétition mondiale en matière de standards de qualité, parce que les bases de la compétition étaient connues de tous, que ce soient des tireurs ou du public. D’un côté, nous avions une équipe inconnue de tireurs américains, rassemblée par les simples liens du tir sportif, dont aucun des membres n’avait la moindre expérience en matière de tir à longue distance au niveau international. De l’autre, nous avions la célèbre Irish rifle Team, fraîchement émoulue d’une magnifique victoire. En plus de cela, il y avait beaucoup à dire sur les armes utilisées par chacune des équipes. Les Irlandais étaient équipés des carabines Rigby à chargement par la bouche qui avaient fait leurs preuves, et les Américains avec des Sharps et Remington à chargement par la culasse, d’une qualité nouvelle qui restait à prouver, tout comme d’ailleurs les tireurs eux-même. « C’est pourquoi ce match fut une compétition opposant , pas seulement des Américains à des Irlandais, mais la carabine à chargement par la culasse contre les armes de tir à longue distance se chargeant par la bouche » dira Ned ROBERTS plus tard. Creedmoor serait le test suprême pour les meilleurs tireurs Américains utilisant des armes américaines se chargeant par la culasse. Perdre cette compétition reviendrait à exposer une défaite aux yeux de meilleurs tireurs venant d’un pays étranger et utilisant du matériel censé être meilleur. De toutes les manières que l’on regardât la chose, c’était la réputation de l’Amérique toute entière qui était en jeu ! Attisés par certains articles du New York Herald, les passions s’exacerbaient. Au fur et à mesure que la date de la compétition s’approchait, l’émotion gagnait la confrérie des tireurs, à la fois de ce côté-ci et à la fois de l’autre côté de l’Atlantique. Les tireurs américains, qui admettaient ne pas être trop sûrs de leurs armes à chargement par la culasse, prirent peu à peu confiance en leurs capacités à longue distance et en arrivèrent à respecter le potentiel de précision de leurs Sharps et Remingtons. Les Américains continuaient à s’entraîner, en essayant du même coup de trouver les charges adéquates pour leurs carabines. Les jours passaient et les tireurs envoyaient d’innombrables coups, en recueillant un vaste catalogue de données, tout en accumulant plus d’expérience sur les réglages du vent et la gestion du mirage, et gagnant confiance en leur capacités à remporter le match. Ainsi, chacun des membres de l’équipe devint, avec sa carabine, un adversaire sérieux de plus sur lequel il faudrait compter dans l’horizon de la compétition mondiale du tir.

Les cibles utilisées dans ce premier match international de tir à la carabine, furent appelées « Cibles Creedmoor ». Il s’agissait des cibles standard adoptées par la National Rifle Association en 1871 pour le tir à 800, 900 et 1000 yards. De forme rectangulaire, les cibles mesuraient six pieds de haut et douze pieds de long. La « mouche », de couleur noire, se composait d’un carré de trois pieds inscrit dans un carré rayé horizontalement qui mesurait six pieds sur six. Un coup dans la « mouche » comptait quatre points. Un impact dans ce carré rayé de six pieds, dit « centre », comptait trois points. Le « centre » était inscrit dans la partie « extérieure » de la cible « Creedmoor ». La partie « extérieure » s’étendait de deux pieds à gauche et deux pieds à droite du « centre ». De chaque côté du « centre », la partie « extérieure » mesurait donc deux pieds de large et six pieds de haut. Un impact dans la partie « extérieure » comptait deux points. On peut donc se rendre compte que le score le plus haut possible avec 15 coups serait de 60 points. On notera que, même si les cibles utilisées lors de ce premier match à Creedmoor en Amérique étaient d’origine N.R.A., la plupart des clubs étrangers, y compris les Anglais et les Irlandais, utilisaient des cibles identiques avec des mouches carrées.

Quand le soleil commença à se lever dans le ciel rouge de ce matin du 26 Septembre 1874, la foule de supporters passionnés et d’amateurs se massait déjà du côté de Creedmoor. Pas moins de huit mille intéressés remontaient le petit chemin poussiéreux pour assister à cet événement international dont il avait tant été question partout. Depuis des mois, les journaux avaient stimulé les enthousiasmes presque chaque jour, et à présent des télégraphistes se tenaient prêts à envoyer les résultats à travers le reste du pays. En ce Samedi historique, le temps était clair et assez chaud. Il y avait peu de nuages dans le ciel. Le vent, si peu qu’il y en eût, soufflait de face avec un léger travers vers la droite. Pour l’équipe américaine, ces conditions climatiques étaient idéales. L’absence de vent voulait dire qu’ils n’auraient pas à lutter avec ces désagréables organes de visée, pour lesquels ils manquaient tant d’expérience à ces longues distances. Par contre, la chaleur et l’humidité provoqueraient très certainement de gros effets de mirage à Creedmoor. Pendant les séances d’entraînement de la semaine précédente, les membres de l’Irish Rifle Team avaient été considérablement gênés par ces effets de mirage. Les tireurs américains, cependant, ne craignaient pas ce phénomène compliqué, car leur expérience à Creedmoor était largement suffisante pour surmonter les conditions trompeuses de mirage qui étaient tant présentes ce jour-là. Les tireurs commencèrent à arriver en même temps que la foule de spectateurs grossissait et se massait derrière les gardes-fou en corde de Creedmoor. Les Américains, vêtus de leur costume d’affaires et chapeau melon, faisaient un contraste vif avec les costumes chics des compétiteurs Irlandais, lesquels se pavanaient dans leurs beaux habits de tweed et chapeau de chasse à la mode ou casque colonial. Toute l’atmosphère à Creedmoor n’était qu’élégance à la mode et mélange d’enthousiasme contenu avec une aura de régal exubérant. Le match était suivi par la noblesse, et c’était un événement social intéressant le monde entier. C’était, à tous points de vue, un jour vraiment magnifique.

Les Etats Unis avaient choisi les cibles numéros 19 et 20. Les cibles numéros 16 et 17 avaient été attribuées à l’équipe irlandaise. La 18 avait été laissée vide et, d’un commun accord, posée au sol pour éviter les erreurs de tir croisé dans la mauvaise cible. Les postes de tir 19 et 20 étaient considérés comme les plus avantageux. L’équipe irlandaise avait utilisé ces postes lors des tirs d’entraînement, mais elle avait perdu au tirage au sort et, ce jour de la compétition, devrait donc renoncer à son choix. Au moment prévu, les équipes se mirent à leurs places respectives sur le pas de tir. Chacune des équipes fit tous les efforts pour que l’autre tirât en premier, et obtenir ainsi les informations sur le vent par le premier coup de l’adversaire. Assurément, il y avait là aussi un peu de compétition mentale, où chaque tireur essayait d’influencer psychologiquement son adversaire. Les tireurs de chaque équipe se mirent à faire mécaniquement de petits gestes simples, comme passer des bouts de chiffon propres dans le canon de leur arme. La foule de spectateurs qui s’était massée s’impatientait en attendant le premier coup. Enfin, le Capitaine P. WLAKER de l’équipe irlandaise se pencha et se mit en position classique, couché sur le ventre, au poste de tir numéro 16. Avec l’aplomb de la dignité et l’assignation du devoir, il envoya le premier coup de la compétition à 800 yards, vers les cibles floues dans le lointain. Comme il n’y eut pas de fanion en réponse au coup, les spectateurs en faveur des Irlandais exprimèrent leur regret vocalement, alors que les partisans des Américains applaudirent le coup manqué. Le Colonel WINGATE, capitaine de l’équipe américaine, invita immédiatement la foule à faire preuve de bon goût et à rester silencieuse pendant que les autres tireurs continueraient. A côté du Capitaine WALKER, le Dr. J.B. HAMILTON, faisant également partie de l’équipe irlandaise, venait de tirer son premier coup, et le disque blanc fut levé depuis les buttes au bon moment pour indiquer une « mouche ». Là, les partisans dela grande Irlande exprimèrent leur joie en applaudissant fort et pendant longtemps. Cette fois, le Major LEACH, capitaine de l’équipe irlandaise, demanda au public de ne pas exprimer leurs sentiments pour ne pas déranger les tireurs de l’équipe adverse. Les tireurs irlandais devaient se relever après chaque coup, pour recharger leurs carabines Rigby à chargement par la bouche. Lorsque le Capitaine WALKER se releva après son premier coup, qui était un loupé, il eut quelques mots de regrets et de dégoût pour son vénérable co-équipier Mr. RIGBY. Après avoir rechargé, il se remit en position couché sur le ventre et obtint tout de suite un « centre ». Une fois sa hausse correctement réglée, il suivit avec une « mouche » à son troisième coup. Malheureusement, son sixième coup fut à nouveau un loupé. A la fin de sa série de quinze coups, son score totalisait un pauvre 46. Les deux coups hors-cible du capitaine Irlandais étaient probablement dus à l’effet de mirage trompeur du stand de Creedmoor.

Les Américains, rappelez-vous, avaient justement espéré que ce problème handicaperait l’équipe irlandaise, et ils comptaient dessus pour profiter de la malchance des Irlandais. Entre-temps, du côté du pas de tir américain, le Lieutenant Henry FULTON se préparait à refaire les excellents scores qu’il avait obtenus auparavant à l’entraînement. On vit beaucoup des membres de l’équipe irlandaise qui attendait, regarder en direction du Lt. FULTON après qu’il eût tiré son premier coup. Ils voulaient savoir si le tir de FULTON était aussi précis aujourd’hui qu’il l’avait été à l’entraînement. Et il l’était ! En effet, cinq de ses six premiers coups furent des « mouches » ! C’était parti pour un sacré match !

Henry FULTON fut de ces tireurs qui tiraient depuis une position sur le dos. C’est-à-dire qu’il était couché sur le dos, croisait ses jambes, et se penchait juste un peu sur le côté droit. Puis, plaçant la crosse de son arme au-dessus de son épaule droite, il faisait reposer le canon de la carabine dans le « V » formé par les jambes croisées. Sa main gauche passait derrière sa nuque, et sa paume tenait la plaque de couche en maintenant la crosse contre sa joue. Cela semble étrange ? Ca l’était ! Cependant, la position où le tireur était couché sur le ventre variait beaucoup. Certains compétiteurs se couchaient sur le dos ou sur le côté, et tenaient leur canon avec leurs pieds ou leurs jambes, quand d’autres utilisaient une position où le visage penchait vers le bas. La majorité tirait couché sur le ventre dans une version traditionnelle…essayant toujours de chercher une position plus stable et un contrôle plus ferme de l’arme.

A de telles distances, la moindre déviation pouvait signifier un coup totalement hors-cible. En plus de son étrange position à tirer couché, le Lt. FULTON était le seul membre de l’équipe de tireurs Américains à charger son arme, qui se chargeait normalement par la culasse, par la bouche ! Avec sa carabine Remington, le Lt. FUTON choisit de charger son arme avec une balle calepinée qu’il descendait par la bouche. Après l’avoir mise en place avec une baguette jusqu’à la base de la chambre, il introduisait une douille métallique déjà chargée de poudre par la chambre de la manière conventionnelle.

Malgré sa position de contorsionniste et sa manière antithétique de charger son arme, par la bouche au lieu de par la culasse, le Lt. FULTON fur le meilleur tireur à 800 yards avec un score de 58 points sur 60 possibles. Ce score égala celui du meilleur tireur Irlandais. Ainsi, après que le Lt. FULTON eût fini de tirer, il régnait une atmosphère d’optimisme du côté américain des spectateurs. Après tout, peut-être que les Américains pouvaient quand-même vaincre l’équipe irlandaise ? Ou alors, est-ce que ce n’était pas là simplement un coup de chance pour Henry FULTON ?

L’un après l’autre, les grands tireurs d’Irlande et d’Amérique s’avançaient sur le pas de tir pour représenter leur pays, tout en cherchant à se faire remarquer sur le stand de tir de Creedmoor. L’équipe irlandaise finit de tirer la première. On peut attribuer ceci au fait que les américains devaient nettoyer leur canon après chaque coup pour s’assurer de la précision du prochain. Les tireurs irlandais ne le firent pas. A la fin des séries à 800 yards, les scores étaient les suivants :

EQUIPE IRLANDAISEEQUIPE AMERICAINE
John RIGBY52Lt. Henry FULTON58
Edmund JOHNSON50Gen. T.S. DAKIN53
Dr. J.B. HAMILTON58G.W. YALE55
J.K. MILNER57Lewis L. HEPBURN53
Capitaine P. WALKER46Col. John BODINE54
James WILSON54Col. H.A. GILDERSLEEVE53
Total317Total326

De manière surprenante, l’équipe américaine sortait de la compétition de tir à 800 yards avec une avance. Et pendant que les spectateurs étaient quelque peu ébahis et qu’ils faisaient preuve d’un enthousiasme considérable, les membres de l’équipe eux-mêmes semblaient nonchalants. On attendait des américains un score honorable à 800 yards, quelque chose qui représenterait le genre de résultat auquel ils étaient habitués. Le vrai défi, ils le savaient, serait à 900 et à 1000 yards, où l’équipe irlandaise bénéficiait d’une expérience considérable dont, bien entendu, l’équipe américaine manquait le plus.

Comme les spectateurs se ravivaient à relire le classement sur le tableau d’affichage et pesaient les chances de leur équipe favorite, les membres de l’équipe se retirèrent pour un déjeuner préparé pour eux dans une tente juste à côté. L’équipe irlandaise offrit à l’Amateur Rifle Club de New York City une splendide coupe en argent comme présent d’amitié. Suivirent les traditionnels discours de remerciements et les plaisanteries toujours liées au tir international, après quoi les carabiniers revinrent sur le pas de tir de Creedmoor pour continuer la compétition. A 900 yards, les Irlandais se rattrapèrent de leurs mauvais tirs précédents. John RIGBY fit un excellent score de 56 et devint le meilleur tireur Irlandais à 900 yards. Sa prestation fut une sorte de surprise, car bien que son habileté au tir était connue de tous et régulière constamment, il fut rarement le meilleur tireur de l’équipe. Peut-être que l’importance de cet événement international motivait ses capacités, ou peut-être était-ce juste son jour de chance. N’importe comment, les Irlandais étaient contents de son tir et saluèrent sa grande contribution au score final.

Pourtant, l’Irish rifle Team eut une mésaventure dans les séries à 900 yards. Il semble que la position de tir de Mr. MILNER était couché directement sur le dos pour que le canon de sa carabine repose entre ses pieds, avec le dioptre à vernier placé à l’arrière près de la plaque de couche pour lui permettre de viser correctement. De toute évidence, dans cette position, son champ de vision était limité à la très petite zone du « V » formé par ses pieds. Quand MILNER se mit en position pour son premier coup, il engagea la mauvaise cible et fit une « mouche », qui compta pour zéro ! Cette erreur affecta sérieusement le score combiné de l’équipe irlandaise.

Pour l’équipe américaine, Henry FULTON prouva une nouvelle fois que sa constance dans les hauts scores à l’entraînement n’était pas un fait du hasard, puisqu’il sortit comme le meilleur tireur en obtenant 57 points aux 900 yards. Selon tous les standards, FULTON fit preuve d’excellentes qualités de tireur. Il est très possible que ses douze « mouches » et trois « centres » à 900 yards apportèrent de la crédibilité à sa position acrobatique où le torse était plié, sans parler de la preuve que la pratique de charger par l’avant son arme à culasse était également crédible.

Le total des scores après la fin des tirs à 900 yards laissa aux supporters des deux équipes suffisamment de quoi être optimistes. Toutefois, les tireurs Irlandais, même avec l’erreur de MILNER qui s’était trompé de cible, devançaient le score des Américains et, après le tir à 900 yards, les scores étaient les suivants :

EQUIPE IRLANDAISEEQUIPE AMERICAINE
800 yards900 yards800 yards900 yards
John RIGBY5256Lt. Henry FULTON5857
Edmund JOHNSON5049Gen. T.S. DAKIN5345
Dr. J.B. HAMILTON5852G.W. YALE5556
J.K. MILNER5749Lewis L. HEPBURN5350
Capitaine P. WALKER4655Col. John BODINE5451
James WILSON5451Col. H.A. GILDERSLEEVE5351
Total317312Total326310
COMBINE 629COMBINE 636

On voit tout de suite que, jusque là, les scores étaient tels que n’importe laquelle des deux équipes pouvait tirer avantage de toute erreur susceptible d’être commis par l’autre à 1000 yards, et gagner la compétition. L’équipe irlandaise était sûre que, si elle tirait ses scores habituels ce jour-là, elle pouvait encore gagner la compétition, parce que ses tireurs étaient supérieurs à 1000 yards. De son côté, l’équipe américaine était en avance de sept points, et si elle pouvait éviter de faire de grosses erreurs et tirer le mieux possible, elle pouvait rester en tête et gagner la compétition.

Alors que les compétiteurs se rendaient au pas de tir à 1000 yards pour finir le match, chaque tireur savait qu’il devait faire l’effort suprême et tirer de sa carabine la précision absolue qu’elle était capable de donner. Avec cette pensée en tête, les Irlandais ne perdirent pas de temps et se mirent en place au pas de tir. Le ciel dégagé du milieu de journée avait fait place aux couleurs grises du soir, et il n’y avait plus de mirages trompeurs pour se battre avec. Ils tiraient sous une lumière qui leur était bien familière. Comme le dernier tireur Irlandais rassemblait ses affaires et se préparait à quitter le pas de tir, on pouvait voir les spectateurs griffonner sur des bouts de papier les totaux atteints par les équipes. La grande équipe des tireurs Irlandais avait fait 302 points aux 1000 yards. Leur score total de match était de 931. C’était un score incroyable ! Vraiment superbe !

Mais l’équipe américaine était encore en train de tirer. Le Lieutenant FULTON venait juste de tirer son dernier coup, et un rapide coup d’œil indiquait qu’il avait fait un score de 56. Ceci s’avéra le meilleur score de tous les tireurs de cette équipe à 1000 yards. Pendant ce temps, le co-équipier de FULTON, le Colonel John BODINE, tirait ses derniers coups de match. Plus tard, l’histoire relata que ce sont ces coups-là qui déterminèrent le résultat final du championnat du monde de Creedmoor de 1874.

Jusque là, le score de l’équipe américaine totalisait 930. Il restait un coup à tirer pour le Colonel BODINE. Si par erreur le dernier coup était manqué, les vainqueurs de Creedmoor serait, bien entendu, les Irlandais. L’issue du match était dans le dernier coup de BODINE. Il est certain que l’action intense qui se déroulait là, faisait peser une responsabilité énorme sur les épaules du colonel John BODINE. Le Colonel, quoique bien expérimenté en matière de tir, était un homme approchant la soixantaine. Il tirait cette compétition avec un fusil Remington « Rolling block » et, comme toujours, portait des épaisses lunettes. Comme le voulait le destin, le Colonel BODINE avait, à peine quelques instants auparavant, demandé une boisson sucrée pour apaiser sa soif. Malheureusement, la bouteille de boisson se cassa et il se fit une coupure à la main. Après avoir arrêté le sang, il se coucha sur le ventre et aligna ses organes de visée sur la cible à la « mouche » de 36 pouces qui se tenait devant lui, là-bas, à 1000 yards.

Le silence enveloppait le stand de Creedmoor alors que le tireur vieillissant inscrivait la « mouche » dans la lumière du dioptre sur son Remington. Sentant le calme de la foule, ou peut-être ressentant la tension qui était orientée sur lui à cause de l’importance de ce dernier coup, le Colonel visa, reprit son souffle, puis visa de nouveau. Après ce qui sembla une éternité, le dernier coup de match était tiré et, presque immédiatement, la foule de spectateurs cria d’un seul cœur « Ca y est ! », en même temps que le petit disque blanc sortait de la fosse et indiquait une « mouche ». Simultanément, un grondement d’acclamations pour les vainqueurs s’éleva d’une telle férocité, que l’allégresse individuelle de chaque tireur s’en retrouva noyée et dépassée par l’enthousiasme et la frénésie de la foule. Le Colonel John BODINE fut présenté par les spectateurs zélés comme le héros du moment, à cause de son dernier coup qui avait semblé être dans l’esprit de tous la limite de la victoire.

EQUIPE IRLANDAISEEQUIPE AMERICAINE
800 yards900 yards1000 yards800 yards900 yards1000 yards
John RIGBY525655Lt. Henry FULTON585756
Edmund JOHNSON504951Gen. T.S. DAKIN534541
Dr. J.B. HAMILTON585250G.W. YALE555651
J.K. MILNER574948Lewis L. HEPBURN535046
Capitaine P. WALKER465543Col. John BODINE545153
James WILSON545155Col. H.A. GILDERSLEEVE535151
Total317312302Total326310298
COMBINE931COMBINE934

Le New York Herald du Lundi 28 Septembre 1874 raconte l’histoire de ce premier match international de tir à la carabine comme suit : «  Le grand match de tir. L’Irlande et l’Amérique se sont battus chacun pour être le champion. La victoire de l’Amérique. Des scores magnifiques aux distances du demi-mille. Une moisson d’honneurs, même dans la défaite. La bataille des carabines – le chargement par la culasse contre le chargement par la bouche. Les schémas indiquant la position de chaque impact ayant touché la cible…Ceux qui étaient à Creedmoor  ce Samedi pour suivre le grand combat d’adresse entre les célèbres tireurs Irlandais qui avaient emporté l’Elcho Shield devant les meilleurs coups d’Angleterre et d’Ecosse, et les représentants relativement inconnus du tir Américain, ne sont pas prêts d’oublier une rencontre qui est appelée à rester un repère dans l’histoire du tir. Lorsque le défi a été relevé, on ne croyait pas possible que l’Amérique pût fournir une équipe de tireurs à longue distance aux armes d’épaule, capable de se mesurer avec succès  aux vainqueurs de Wimbledon. Et il faut avouer que, dans cette rencontre très serrée, nous devons notre succès autant à la chance qu’à l’adresse. L’erreur de l’équipe irlandaise d’avoir fait une « mouche » dans la mauvaise cible, donna la victoire à l’Amérique. Sans ce coup du sort, nos courageux visiteurs seraient revenus chez eux avec leur gloire – ébranlée, certes, mais toujours là.

Dans l’état des choses, ils ont la consolation de savoir que les points obtenus par leur équipe dépassent d’un seul ceux de leurs adversaires. Mais l’élimination du mauvais coup de Mr. MILNER les prive de quatre points, et donne ainsi l’avantage de trois points à l’Amérique. Avec un tel score, la défaite perd toue sa force et les tireurs malheureux peuvent se consoler d’avoir mérité la victoire, même s’ils n’y sont pas arrivés. Le score réalisé Samedi n’a jamais été égalé dans n’importe quelle compétition à longue distance, et même les Irlandais ont surpassé tous les efforts qu’ils avaient faits précédemment. Ceci rend la victoire des Américains encore plus honorable, alors que c’est un exploit dont l’équipe perdante peut être fière. »

Le premier match de Creedmoor a prouvé que les Américains pouvaient se mesurer en tir à longue distance avec les meilleurs du monde – et il prouva également quelque chose d’autre. Ce fut la preuve que les armes à chargement par la culasse pouvaient tirer tout aussi juste et aussi précisément que celles qui se chargeaient par la bouche. La compétition de Creedmoor, avec son incroyable victoire internationale, donna à l’Amérique la crédibilité dont elle avait besoin dans l’arène de la compétition du tir sportif. En effet, les Etats Unis resteraient pour beaucoup, beaucoup d’années, un facteur avec qui il faudrait compter.

HOMMES DE LOI SUR LA FRONTIERE

Des héros ou des truands ?

Traduction d’un article de Joe BILBY paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1988

Le soleil du 30 Avril 1884 se levait tristement sur la ville de prairie de Medecine Lodge, au Kansas. C’était le dernier matin que verrait Henry BROWN, l’officier de police tout nouvellement marié et en charge de la ville toute proche de Caldwell. L’homme de loi de 27 ans mourrait ce jour-là, suite à une attaque de banque à main armée sur Medecine Lodge. Il est intéressant de noter que BROWN ne mourut pas héroïquement en défendant la banque, mais paya de sa tête pour l’avoir dévalisée. BROWN et son député, Ben WHEELER, alias Ben ROBERTSON, étaient partis de Caldwell quelques jours plus tôt, sous prétexte de courir après des voleurs de bétail dont ils auraient été sur la piste. Une fois tranquilles en dehors de la ville, le marshal et WHEELER rejoignirent deux petits malfrats, William SMITH et John WESLEY, et le quartet chevaucha vers Medecine Lodge, sous-entendu pour attaquer la Medecine Valley Bank . L’attaque tourna en fiasco, et les bandits frustrés tuèrent le président de la banque E.W. PAYNE ainsi que le caissier George GEPPERT. Poursuivis par un détachement d’hommes en colère sous les ordres du shérif, BROWN et ses hommes se ruèrent désespérément vers une cache où ils avaient mis des chevaux frais en réserve qui auraient pu leur permettre de s’échapper. Malheureusement pour eux, les bandits se trompèrent de direction, ils furent piégés et rapidement capturés. Mais putain, je t’avais dit que c’était à droite, conaud ! L’incarcération dans la prison de fortune de Medecine Lodge apporta peu de protection aux braqueurs de banque. Les citoyens de la ville, enragés par les meurtres de PAYNE et de GEPPERT, qui étaient des gens connus et aimés, se précipitèrent dans la prison et traînèrent les tueurs dehors. L’ancien marshal BROWN tenta de s’enfuir en courant, mais il fut coupé en deux par une décharge de fusil de chasse. Ses trois camarades de crime furent pendus sommairement. C’est un lynchage. Bien qu’ils ne fussent pas aussi courants que les scénaristes ou les écrivains de romans à quatre sous voudraient nous le faire croire, les attaques de banques à main armée et les lynchages ne furent certainement pas des évènements inconnus dans l’Ouest américain du XIXème. siècle. Malheureusement, le cas de l’homme qui avait prêté serment de défendre « la loi et l’ordre » et qui avait passé la ligne le séparant du banditisme pour son profit personnel, ne l’était pas non plus. Qu’il le sût ou non, le comportement outrageux de BROWN eut un précédent avec celui de Henry PLUMMER. PLUMMER, né au Connecticut en 1837, fut attiré en Californie vers 1850 par la fièvre de l’or. Loin d’être de ceux qui courraient après la chimère de l’Eldorado dans les collines, PLUMMER ouvrit une boulangerie à Nevada City en 1853, gagnant un peu de liquide en extra comme joueur indépendant. Présentant bien et habile avec une arme, il fut élu marshal de la ville en 1856. Mais cet homme de loi de 19 ans avait un gros défaut, un penchant pour les dames, pour les dames des autres hommes. L’une de ces affaires se finit au pistolet et le jeune marshal se retrouva condamné à dix ans de prison pour avoir tué un mari jaloux. Gracié au bout d’un an, PLUMMER fut bientôt mêlé à une série de combats de saloon et de braquages, et il tua un autre homme. Bien que remis en prison, il s’échappa et partit vers le Nord. L’homme de loi renégat se tailla un chemin plein de meurtres et d’adultères à travers l’Oregon et l’Etat de Washington, en route vers les mines d’or du Montana, où il s’établit comme joueur à Bannack et prépara secrètement la création d’une bande organisée « d’agents de la route ». A cette époque, il réussit à se faire engager comme marshal. Mais PLUMMER déménagea bientôt vers des cieux plus propices à Virginia City, où il fut à nouveau élu marshal et développa ses activités de bande organisée. Les capacités d’organisation d’Henry PLUMMER étaient sans aucun doute excellentes, et s’il les avait utilisées dans des voies plus sociables, on se serait souvenu de lui comme de l’un des pères fondateurs du Montana. Cependant et au lieu de cela, un comité de Vigilants termina sa carrière de bandit avec un badge attaché au bout d’une corde en Janvier 1864. « L’étoile sur la corde », un vrai titre de film. Les marshals renégats BROWN et PLUMMER ne furent pas les seuls dans l’histoire de l’Ouest. Burt ALVORD, un avocat respecté en Arizona, fut arrêté en 1900 pour avoir conduit une bande de dévaliseurs de trains alors qu’il était policier à Wilcox. « Buffalo Bill » BROOKS, premier marshal de Newton, Kansas, et plus tard policier à Ellsworth, Kansas, attendit d’en avoir terminé de faire respecter la loi avant de commencer sa carrière de voleur de chevaux. En 1874, il fut pendu lui aussi, les bottes aux pieds. Les DALTON, membres de ce qui fut considérée comme toute une famille de brigands, furent plus connus du grand public de leur époque et des générations qui suivirent, comme des hommes de loi qui avaient mal tourné.

En vérité, seuls quatre des quinze enfants DALTON devinrent hors-la-loi, alors qu’au départ ils avaient juré de la défendre. Après que Frank DALTON, un marshal député des U.S. chargé du Territoire Indien, aujourd’hui l’Oklahoma, fût assassiné par des trafiquants de whisky en 1884, ses jeunes frères suivirent sa voie en portant le badge. Si l’affaire avait continué à la manière d’Hollywood, les trois frères vengeurs auraient nettoyé le Territoire. Malheureusement, Grattan, Bob et Emmet DALTON, bien qu’ayant juré de défendre la loi, exigèrent bientôt, et reçurent, des pots de vin et volèrent des chevaux sous le couvert de leur badge. La raison qui les poussait à passer la ligne continue semble avoir été simple : l’argent facile. Après avoir, dans de sombres circonstances, quitté leur poste d’homme de loi, les frères développèrent leurs affaires de vols de chevaux. En Décembre 1890, Grat et Bob voyageaient vers la Californie pour rendre visite à un autre de leurs frères, Bill, lequel menait une existence apparemment sans faute et était un personnage prometteur dans l’administration locale, jusqu’à ce que ses frères arrivent. En Février 1891, les DALTON de l’Oklahoma attaquèrent un train à Atila, Californie, et tuèrent le chauffeur. La piste des bandits mena à la maison de frère Bill, où Grat fut arrêté. Celui-ci s’échappa de captivité et se réfugia en Oklahoma où lui, Bob et Emmet formèrent succinctement le gang des DALTON. La bande se fraya une piste d’attaques de trains à travers l’Oklahoma jusqu’au Kansas, où les DALTON essayèrent de surpasser les JAMES Boys, de lointains parents des DALTON et des YOUNGER qui firent partie du gang de Jesse JAMES, en attaquant deux banques simultanément à Coffeyville, leur ville natale. Le 5 Octobre 1892, ils finirent de manière désastreuse sous une grêle de balles tirées par une foule déterminée et bien armée. Au cours de ce combat, qui fut l’un des plus sanglants dans l’histoire de la frontière, quatre des cinq bandits ayant mis les pieds dans Coffeyville ce jour-là périrent, en même temps que quatre citoyens locaux. Tout le monde connaît cette photo où l’on voit les quatre brigands morts de Coffeyville, Tim EVANS à gauche, Bob et Grat DALTON au milieu, reliés entre eux pour l’éternité par une carabine Winchester « 92 », et Dick BROADWELL à droite, tous avec leurs chaussures aux pieds, couchés sur des planches et pleins de trous comme des troncs d’arbres sur lesquels on se serait entraîné au tir. Derrière, un enfant regarde la scène d’un air intéressé, à travers une ouverture pratiquée dans les planches cassées de la palissade. Emmet DALTON, bien que criblé de chevrotines et de balles, survécut et fut condamné à la prison à vie. Il fut gracié et relâché après avoir fait quinze ans de prison. Après une apparition comme agent immobilier, Emmet déménagea en Californie en 1920 et devint scénariste, petit acteur et conseiller dans l’industrie naissante du film Western. Il y a une note finale ironique dans l’histoire des DALTON. Sa carrière politique ruinée par la réputation de ses frères, Bill revint en Oklahoma après le drame de Coffeyville et devint un bandit lui aussi, se mettant en équipe avec le dernier membre de la bande de ses frères, Bill DOOLIN. En Septembre 1895, un détachement aux ordres du shérif rattrapa Bill DALTON et, comme il tentait de saisir son arme, le tua devant les yeux de sa femme et de ses enfants, près d’Ardmore, Oklahoma. Et pan ! Dans la’g’l. Et devant ta morue et tes chiards. T’avais qu’à te tenir à carreau, narvalo. Moi, j’ai fait le ménage, et comme çà, les autres sauront à quoi s’en tenir s’ils ont envie de faire les cons. Parmi les hommes de loi de l’Ouest qui passèrent la ligne les séparant du banditisme, peu d’entre eux acquirent la réputation des DALTON, mais beaucoup d’autres firent l’aller-retour entre la délinquance et le droit chemin, ressortant et y retournant régulièrement. Pourtant, les suspicions et les accusations de délits qui variaient du vagabondage au meurtre, ne constituaient pas nécessairement des obstacles pour qu’un candidat obtînt une place de représentant de la loi, même s’il était connu des autorités qui l’embauchaient. L’arrestation de Wyatt EARP au début de 1870 pour vol de chevaux sur le Territoire Indien, n’empêcha pas les doyens de la ville de Wichita, Kansas, de le nommer au poste de policier municipal en 1875. Durant toute la période où il officia, Wyatt fut mêlé à de probables détournements d’amendes pour prostitution, et put même avoir été souteneur. Une arrestation pour rixe sur la voie publique termina la carrière de EARP à Wichita comme policier, et il partit vers l’Ouest à Dodge City, où il trouva un emploi de policier et d’assistant marshal. Bien qu’il n’accomplît aucun des exploits que les séries populaires de télévision lui attribuèrent il y a une trentaine d’années, ou bien la biographie douteuse d’où sortirent ces histoires, EARP semble s’être comporté de manière crédible comme policier à Dodge City, et il y devint même diacre. Pour bénir ceux qu’il expédiait Ad Patres. En 1879, Wyatt déménagea en Arizona avec son entourage, dont ses frères et le fameux dentiste Doc HOLLIDAY. En chemin, il s’arrêta à Mobeetie, Texas, où lui et « Mysterious Dave » MATHER furent accusés d’avoir monté une arnaque à la « brique d’or ». C’est peut-être un truc où l’on vend aux idiots une brique couleur peinture dorée à la place d’un lingot.

Arrivé à la ville minière de Tombstone, Arizona, Wyatt y travailla à l’occasion comme garde armé accompagnateur de diligence, et y vécut comme joueur indépendant. Plus tard, EARP s’intéressa à l’Oriental Saloon, et tenta, sans y réussir, d’accéder au poste lucratif de shérif du comté de Cochise, un poste qui incluait dans ses revenus un pourcentage sur les taxes collectées. Mais bien qu’il n’obtint pas le poste de shérif du comté, Wyatt fut nommé marshal de la ville de Tombstone par son frère Virgil. En Octobre 1881, Wyatt et Virgil, avec leur frère Morgan et Doc HOLLIDAY, descendirent les CLANTON et les Mc. LAURY lors du fameux combat de O.K. Corral. Après d’autres morts d’hommes de part et d’autre, le clan EARP quitta l’Arizona pour l’Ouest, avec un petit détour en Alaska en 1901, prenant enfin sa retraite en Californie. Il gagna sa vie comme joueur, mineur et parfois comme escroc. L’accusation la plus grave retenue contre EARP durant ses dernières années fut que, alors qu’il arbitrait un matche de boxe en 1896 entre Bob FITZSIMMONS et Tom SHARKEY, il fit pencher le combat en faveur de SHARKEY. Bien que certains aient accusé EARP et son « gang » d’avoir rivalisé les CLANTON en matière de vols de chevaux et d’attaques de diligences pendant leur séjour à Tombstone, il n’existe pas de preuves de la véracité de ces faits. Par contre, il n’y a pas de doute que Wyatt EARP fut une « tête brûlée », dont l’interprétation de la loi et le point de vue sur la moralité dépendaient, selon les cas, de la manière où cela aurait influé sur son sort ou celui de sa famille. Plusieurs autres policiers furent beaucoup plus meurtriers que EARP. « Happy Jack » MORCO, « Jack le Content », un Mauricot qui n’arrêtait pas de ricaner bêtement quand il flinguait ses clients d’une balle dans les couilles en disant « Et encore un pour l’Enfer ! », que Bill O’NEAL décrivit dans sa dernière Encyclopédie des Gunfighters, c’est-à-dire les hommes qui se mesuraient avec leurs armes, comme un « bagarreur semi-illettré et ivrogne », devint policier à Ellsworth, Kansas, en 1873 après avoir échappé à la loi en Californie, où il avait abattu quatre hommes non armés. En fin de compte, renvoyé de la police, il fut tué après avoir sorti une arme contre un autre policier d’Ellsworth. Le nom de Bass OUTLAW, bien nommé, c’est-à-dire Bass le Hors-la-Loi, un Texas Ranger alcoolique et fou de la gâchette qui avait déjà à son palmarès plusieurs meurtres du côté de la loi et contre elle, rencontra son destin à El Paso en Avril 1894. Comme il était en ville pour témoigner devant la Cour d’Etat, OUTLAW s’encoquina avec un ivrogne bagarreur et ils firent feu dans une « maison de sport » locale. Après avoir tué un autre Ranger accouru sur les lieux, OUTLAW tira sur le policier d’El Paso, John SELMAN, qui avait été attiré sur place par les coups de feu. SELMAN, un ancien de ces gens qui se mesuraient avec leurs armes, blessa mortellement OUTLAW, qui s’en alla en chancelant pour aller mourir sur le lit d’une prostituée dans un bordel voisin. Bien qu’il rendît un service public en débarrassant le Texas de Bass OUTLAW, « Old John » SELMAN avait plus d’un squelette illégal dans son propre placard. Ancien soldat Confédéré, engagé et ré-engagé, puisqu’il déserta au moins une fois, SELMAN s’associa en affaires avec John LARN, un voleur de chevaux qui avait lui aussi servi comme shérif dans le comté de Shackleford, Texas. Après qu’une foule terminât les carrières légales et illégales de LARN en le lynchant, SELMAN partit pour le nouveau Mexique, où il monta une bande de voleurs de bétail et de brigands. Il se sauva au Texas quand l’U.S. Army et la loi se rapprochèrent trop de lui pour son petit confort. Papillonnant de part et d’autre entre le Nouveau Mexique et le Texas pour éviter des accusations diverses, « Le Vieux John » posa finalement son sac à El Paso, où il fut élu policier en 1892. Le « combat » le plus connu de SELMAN eut lieu le 19 Août 1895, lorsqu’il abattit John Wesley HARDIN d’une balle dans la tête et par derrière. Moins d’un an plus tard, SELMAN fut lui-même tué lors d’une bagarre avec un autre policier d’El Paso, George SCARBOROUGH. « Mysterious Dave » MATHER, le partenaire de Wyatt EARP dans l’affaire de la « brique d’or » de Mobeetie n’était pas, malgré son sobriquet, un personnage très complexe. Il était tout simplement, selon les termes de l’époque, un « mauvais acteur ». Né au Connecticut en 1845, MATHER volait du bétail en Arkansas au début des années 1870. Blessé à Dodge City au cours d’une bagarre au couteau, il partit pour le Texas, où il vola des chevaux et tua un homme dans le Panhandle. Après son expulsion de Mobeetie en 1879 avec EARP, il fut arrêté à Las Vegas, New Mexico, pour avoir attaqué un train. Acquitté, il fut vite nommé policier par le conseil municipal de Las Vegas. Après avoir démissionné de ce poste quelques mois plus tard, il fut complice d’une évasion de prison, déroba l’anneau en or d’une femme noire au Texas et finit comme marshal assistant à Dodge City. En Juillet 1884, il tua Tom NIXON, qui l’avait remplacé comme marshal, au cours d’un échange de coups de feu que la plupart des gens appelleraient un meurtre. L’arme de NIXON était restée dans son holster pendant que Dave lui pompait dans le corps tout un barillet plein de projectiles.

A nouveau acquitté, MATHER se déroba à la justice l’année suivante, après un nouvel incident où les armes à feu avaient parlé, et disparut des pages de l’histoire. Il existe une photo de lui, montrant un jeune type à l’air sympa, un peu sombre d’un oeil, en complet veston, nœud papillon et grande moustache noire, avec, sur son chapeau rond à larges bords plats, un bandeau où on lit « Assistant Marshal ». « Long-Haired Jim » COURTRIGHT, Le Jim aux Longs Cheveux, fut un homme de loi pourri qui disparut et réapparut au cours d’une carrière pleine de vicissitudes. Né en 1848, COURTRIGHT servit comme très jeune soldat pour l’Union pendant la Guerre Civile, sous les ordres du Général James A. LOGAN, lequel est mieux connu comme le fondateur du Memorial Day, le Jour du Souvenir. Sous les bons auspices de LOGAN, COURTRIGHT s’assura une place comme éclaireur de l’Army à la fin des années 1860, et devint marshal à Fort Worth en 1876. A la fin de sa carrière de policier en 1879, Jim se mit à travailler pour LOGAN comme contremaître au ranch du Général, dans le Nouveau Mexique. LOGAN donna à COURTRIGHT carte blanche pour éliminer les « voleurs de bétail », un terme utilisé librement pour désigner à la fois les petits fermiers qui faisaient passer leurs bêtes sur les terres de plus gros, et les vrais voleurs de bétail. L’ancien marshal tua donc deux hommes, qu’il croyait squatter sur le sol de LOGAN. Fuyant le Nouveau Mexique sous l’accusation de meurtre, Long-Haired Jim quitta le pays, réapparaissant plusieurs années plus tard lorsqu’on ne trouva plus les témoins de l’affaire. L’accusation de meurtre levée, COURTRIGHT revint vers son ancien fief, Fort Worth, et relança une vieille affaire, la « T.I.C. Commercial Agency ». C’était soi-disant une société de sécurité privée, mais en fait une couverture pour un juteux racket de protection. Jim parvint à extorquer des fonds à des saloons et des maisons de mauvaise réputation à Fort Worth, jusqu’à ce qu’il rencontrât ce joueur mortel qu’était Luke SHORT, lequel refusa de payer et abattit COURTRIGHT dans un duel à courte distance le 8 Février 1887. La carrière de Jim COURTRIGHT dans le milieu de la « Sécurité Indépendante » fut un chemin que suivirent beaucoup d’hommes de l’Ouest occupant un poste officiel de policier à un moment ou un autre de leur vie. Le « policier indépendant » le plus connu, Tom HORN, n’a cependant jamais été vraiment policier. Né en 1860 au Missouri, HORN traîna dans l’Ouest entre les années 1870 et 1880, travaillant comme mineur, conducteur de diligence et éclaireur pour l’U.S. Army. En 1890, il s’engagea à l’Agence de Détectives Pinkerton et, deux ans plus tard, rejoignit l’Association des Eleveurs de Bétail du Wyoming comme détective de prairie. « Détective de Prairie » était un euphémisme pour « Premier Pistolet », et HORN servit d’assassin pour les grandes compagnies d’éleveurs du Wyoming durant les endémiques guerres des prairies pendant la dernière décade du dix-neuvième siècle. Quiconque « dérangeait » les grands éleveurs, dont beaucoup étaient d’anciens grands propriétaires terriens de l’Est ou d’Europe, risquait de se faire payer par la carabine mortelle de Tom HORN. Personne ne sait vraiment combien d’hommes Tom HORN a tué, mais une faute qu’il commit en 1901, alors qu’il courrait après un petit fermier du nom de Kels NICKELL dont il tua le fils de quatorze ans par inadvertance, le mena à sa perte. En dépit de manœuvres légales et de pressions politiques de la part de ses puissants patrons, HORN fut arrêté, jugé, déclaré coupable et pendu. Son exécution fut le signe que le nouveau siècle serait moins tolérant pour la « Sécurité Privée ». Dix ans plus tôt, les éleveurs du Wyoming avaient pu faire éviter les tribunaux à Tom SMITH, un autre détective de prairie. SMITH, un ancien policier au Texas et en Oklahoma, avait d’abord offert ses services à l’association des éleveurs à la fin des années 1880. Une accusation de meurtre contre lui au début des années 90 fut facilement étouffée par ses puissants employeurs. Avec son confrère « détective » Frank CANTON, SMITH organisa l’expédition de police privée la plus manifeste que l’on pût voir dans l’Ouest à la fin du 19ème siècle. Financés par de gros fermiers, les deux hommes recrutèrent au Texas une bande de cinquante hommes armés, et envahirent le comté de Johnson, Wyoming, en Avril 1892. Cette armée privée, appelée les « Régulateurs » et commandée par l’ex-Major de l’U.S. Army Frank WOLCOTT, pénétra dans la ville de Buffalo, qui était alors le quartier-général d’une alliance tacite entre les voleurs de bétail et les petits fermiers qui avait dans ses rangs toute une liste de personnages plus caractériels les uns que les autres. Malheureusement pour eux, deux des hommes sur cette liste, Nate CHAMPION et Nick RAY, leur donnèrent plus de fil à retordre qu’ils ne l’avaient prévu. Bien que la soi-disant « armée » blessât mortellement RAY au cours d’une embuscade au K.C. Ranch, CHAMPION traîna son compagnon à l’intérieur de la maison et repoussa les assaillants pendant toute la journée, jusqu’à ce qu’ils y mirent le feu et l’abattirent au moment où il sortait, les armes crachant les balles de la manière que l’on imagine. Ne tirez pas, ne tirez pas, je me rends ! Pan-pan-pan-pan-pan. Aââârgh, salauds…

L’action retardatrice de CHAMPION sonna le glas des Régulateurs. Ils furent coincés par une bande d’hommes armés conduite par le shérif du comté de Johnson, Red ANGUS. Bien qu’ils fussent « sauvés » par un escadron de cavalerie, tous les cinquante hommes furent accusés de meurtre. Heureusement pour les Régulateurs, le fonds de défense de leurs employeurs était plus important que les caisses du comté de Johnson, et ils furent relâchés. Pourtant, Tom SMITH ne profita pas longtemps de sa liberté. De retour au Texas à l’état de 1893, il se disputa avec l’un de ces hommes qui ne vivaient que par les armes, en l’occurrence un solide noir dont le nom s’est perdu dans les brumes de l’histoire de l’Ouest. L’homme noir dégaina plus vite que Tom et l’étendit raide. Le black Uncle Ben’s qui se bat avec le cow-boy moustachu aux cheveux longs. C’est comme si j’avais déjà vu cette scène au cinoche. A moins que ce ne soit avec un couteau, ou un arc, comme dans « Les Professionnels ». Manque plus que la gonzesse au milieu, et l’abreuvoir au deuxième plan, où celui qui crève va tomber dedans, les villageois vont se précipiter pour l’en sortir avant qu’il ne pollue l’eau de leurs chevaux, et le croque-mort arrive avec son mètre ruban pour prendre les mesures du cercueil. Frank CANTON, le complice recruté en même temps que SMITH, mena une vie beaucoup plus intéressante et profitable. Né en Virginie sous le nom de Joseph HORNER en 1849, il fut élevé au Texas, où il devint cow-boy et voleur dans les années 1870. Il couronna sa carrière de bandit en dévalisant la banque de Comanche, Texas, en 1877. L’année suivante, on le vit au Wyoming où, sous le nom de Frank CANTON, il commença une nouvelle vie comme représentant de l’Association des Eleveurs du Wyoming et où il servit aussi pendant un petit moment comme shérif du comté de Johnson de 1880 à 1886. Après la Guerre du Comté de Johnson, CANTON travailla comme directeur d’une usine d’emballage avant de s’accrocher un badge de U.S. Deputy Marshal en Oklahoma et en Alaska. De retour en Oklahoma, il devint shérif et fut chasseur indépendant de voleurs de bétail pour l’Association des Eleveurs de Bétail du Texas. CANTON finit sa deuxième carrière comme Adjutant General de la Garde Nationale de l’Oklahoma. Il mourut, sans ses bottes, en 1927. Un autre de ces hommes qui ne vivaient que par les armes et qui se baladait entre la police et le crime, fut Matt WARNER. Né en 1864, WARNER, comme CANTON, commença sa vie sous un autre nom, celui de Willard Erastus CHRISTIANSEN. C’était le beau-frère d’un chef de gang de voleurs du nom de Tom Mc. CARTHY, et il fut membre du gang, apparemment jusqu’à ce qu’il fût dénoncé par sa belle-sœur en 1892 contre une récompense. C’est alors que WARNER découvrit la magie que l’on pouvait obtenir en mélangeant les procureurs et l’argent, dépensant toute ses économies mal acquises pour finalement arriver à vaincre les chefs d’accusation. Essayant de rejoindre le droit chemin, il fut engagé par des prospecteurs comme garde du corps. Défendant ses employeurs au cours d’une embuscade, il tua deux hommes, en blessa un autre et fut condamné à la prison pour meurtre. Plus tard, après qu’il fût relâché en 1900, il fut élu juge de paix et shérif du comté, servant ensuite comme policier en Utah. Bien qu’il fût quelque peu impliqué parallèlement dans des histoires de contrebande, WARNER fut un homme généralement honnête durant les dernières années de sa vie. Il mourut en 1938.

Etablir une liste exhaustive des tueurs et des brigands qui servirent également la loi à un moment ou un autre de leur vie, serait trop long à couvrir ici. Il suffit de dire que beaucoup, comme Ben THOMPSON et King FISHER, tués tous les deux dans un saloon à Austin, Texas, moururent avec les bottes aux pieds. Quelques-uns, comme CANTON et WARNER, atteignirent un âge avancé, entourés de leurs petits-enfants, devenant des curiosités vivantes témoins d’une époque depuis longtemps révolue. Bien que des hommes comme Wyatt EARP et Frank CANTON ne dépasseraient pas aujourd’hui la première page d’un formulaire de candidature pour s’engager dans une police moderne, ils remplissaient un vide dans une société pragmatique où l’on jugeait les capacités d’un homme de loi principalement dans son adresse avec un Colt Single-Action. Il suffit de regarder les journaux aujourd’hui pour se rendre compte que nos critères de sélection actuels ont leurs propres défauts. Les gens étaient peut-être plus tolérants dans l’Ouest du dix-neuvième siècle sur le passé d’un homme, mais ils rendaient leur jugement très rapidement s’ils estimaient que c’était nécessaire. Un ex hors-la-loi n’avait qu’à prendre connaissance du destin de Henry PLUMMER et Henry BROWN s’il avait envie de repasser à nouveau de l’autre côté de la ligne. Bref, pour avoir contrevenu à l’interdiction de dépasser la ligne blanche continue, le tarif était la pendaison haut et court, bottes aux pieds.

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LA BATAILLE DES LAVA BEDS

U.S. Army contre Modoc

Traduction d’un article de J.G. BILBY paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1993

Dans le sillage de la Ruée vers l’Or de 1849, les petites tribus indigènes d’Amérindiens de Californie furent accablées par une vague de pillages, de viols, de massacres et de maladies qui réduisirent la population Indienne de l’Etat de soixante dix pour cent. A moins d’un millier, les Modoc, qui chassaient, cueillaient et pêchaient sur une zone de plus de 5000 miles carrés près de la frontière entre la Californie et l’Oregon, refusèrent de sombrer tranquillement dans l’histoire sans réagir. Les Modoc préféraient éviter les Blancs, mais l’invasion engendra une résistance et dégénéra en une série de conflits pendant toutes les années 1850. Ravagés par la guerre et par la variole, opprimés par les colons et le gouvernement, les Modoc furent forcés à émigrer vers la Réserve Klamath dans l’Oregon, après un traité signé en 1864. Bien qu’harcelés par les Klamath, leur principal chef, Old Schonchin, Vieux Chauchichon, avec d’autres de son peuple, s’adaptèrent aux difficultés et à la précarité de la vie en réserve. Beaucoup ne purent pas le faire. Kientpoos, connu chez les Blancs comme Captain Jack, retourna vers les traditionnels territoires de chasse sur la Lost River, Oregon. En 1870, le Responsable aux Affaires Indiennes de l’Oregon, Alfred B. MEACHAM, réussit à convaincre Jack de revenir dans la réserve auprès de son peuple. Pourtant, de nouveaux heurts avec les Klamath, combinés à un programme officiel de destruction des pratiques culturelles et religieuses traditionnelles Modoc, provoqua une nouvelle fuite de la bande vers la Lost River en quelques mois. Les mineurs de la ville de Yreka, également appelée Eureka et située sur la côte, California, où les Modoc travaillaient, achetaient, demandaient avis et aidaient même à combattre des feux, n’étaient pas gênés par le retour des Indiens. Les fermiers locaux non plus, payant un « loyer » aux Modoc sous forme de marchandises et de nourriture, ou employant des Indiens comme cow-boys, c’est-à-dire comme gardiens de vaches. Mais certains colons, en particulier de l’Oregon, estimaient que les Modoc constituaient une menace et envoyèrent une pétition au gouvernement pour qu’on les renvoyât. Tentant un compromis, Captain Jack proposa que l’on lui accordât une réserve de six miles carrés sur la Lost River pour lui et son peuple. Mais cette solution tout à fait raisonnable, avalisée par MEACHAM et par le Général Edward R.S. CANBY, chef du Département à Columbia, ne fut jamais vraiment prise au sérieux, sans doute parce qu’elle aurait constitué un dangereux précédent en permettant aux Indiens de réclamer leurs terres traditionnelles.

Pendant que se traitaient toutes les tentatives de convaincre le peuple de Jack de revenir vers la réserve, Curly Headed Doctor, Docteur Tête Bouclée, un shaman, présenta la Danse des Esprits à la bande de la Lost River. Mieux connue pour son association avec la tragédie de Wounded Knee, le Genou Blessé, en 1890, la religion de la Danse des Esprits, qui promettait à ses fidèles la disparition des Blancs et la restauration de leur ancien mode de vie, tient ses origines chez les Païutes en 1870. Au début de 1872, MEACHAM fuit remplacé par T.B. ODENEAL. Le nouveau responsable promettait publiquement d’être ami avec les Indiens, mais demandait sous la table « l’élimination » de la bande de Jack, disant que c’était « la manière la plus clémente et la plus Chrétienne », et le moyen « le plus sûr », de régler le problème. Il n’y avait pas de négociation possible. Le gouvernement n’approuverait pas une réserve sur la Lost River, et Jack, pressé par les Danseurs des Esprits, risquait sa place de chef s’il faiblissait. S’il acceptait d’aller autre part, il perdrait à coup sûr. ODENEAL ne perçut pas la force de la bande de la Lost River, faisant l’erreur de conclure que Captain Jack, Hooker Jim, Jim la Pute, et d’autres chefs, ne représentaient pas leur peuple qui, croyaient-ils, voulait réintégrer la réserve. Frustré, le Responsable des Affaires Indiennes demanda au Major John GREEN du 1st. Cavalry, commandant du Fort Klamath, de former une « force suffisante » pour arrêter le chef Modoc. Sans en référer à CANBY, GREEN ordonna au Capitaine James JACKSON de mettre le Compagnie B du 1st. Cavalry en selle et de se rendre sur la Lost River. Seize heures plus tard, les trente huit hommes de JACKSON s’approchaient du village endormi de Captain Jack, pendant qu’une bande non officielle de quatorze civils armés traversaient la rivière pour pénétrer dans le camp de Hooker Jim. Comme Jack restait dans sa cabane, JACKSON engagea un pourparler futile avec plusieurs Modoc, puis leur commanda de lui remettre leurs armes.

Comme les Indiens hésitaient, le Lieutenant F.A. BOUTELLE dit à JACKSON que la bagarre était sur le point d’éclater et que « plus vite vous la commencerez vous-même, meilleur ce sera pour nous ». Le Lieutenant sortit son revolver et se précipita sur Scarface Charley, Charlie la Balafre, lui criant à la figure « Fils de pute ! » et lui tirant dessus. Charley riposta, éraflant le bras gauche de l’officier. Et voilà, c’est parti ! Encore un de ces cons de sous-fifres qui fout la merde parce qu’il veut des galons en montrant à ses supérieurs comment il se bagarre. En plus, il loupe l’Indien qui est juste en face de lui, et l’autre lui fait mal. Les soldats ouvrirent le feu avec leurs carabines Sharps en .50-70, et les Modoc se mirent à couvert derrière leurs cabanes en ripostant eux aussi. En cinq minutes, on fit cesser le feu des deux côtés, avec un soldat et un Modoc morts, et sept soldats blessés. Les Tuniques Bleues ont ouvert le feu en premier, donc ils avaient l’avantage, mais on dirait qu’il leur manquait encore un peu d’entraînement parce qu’ils n’ont même pas été capables de buter plus d’Indiens qu’un seul et qu’ils n’en ont même pas blessé d’autres, tout en ayant déjà sept blessés chez eux, spécialement quand on sait que les Indiens n’avaient pas la réputation d’être des tireurs exceptionnels. En entendant le bruit des coups de feu, les civils tirèrent dans le camp de Hooker Jim avec leurs fusils Henry et leurs fusils de chasse juxtaposés, blessant une femme et tuant son enfant, avant de battre en retraite en laissant deux morts derrière eux. Eux aussi, c’étaient des nuls. Avec des armes à répétition et des cracheurs de plomb, ils n’arrivent même pas à descendre des guerriers, juste une femme et un enfant qui étaient sans armes, et en plus, ils laissent deux des leurs par-terre. Pendant que les soldats brûlaient son village, Jack emmena ses guerriers vers le Sud en Californie, sur la berge Ouest du Lac Tule. Ses femmes et ses enfants s’enfuirent dans des canoës. Les Modoc de Jack prévinrent des colons Blancs et leur dirent qu’il était préférable pour eux de quitter le pays, mais la bande de Hooker Jim tua une douzaine d’hommes en s’enfuyant le long de la rive Est du lac. Comme la rumeur de la bataille se répandait, des fermiers amicaux tentèrent d’escorter une autre bande de Modoc sortis de leur réserve, avec à sa tête Shacknasty Jim, Jim Baraque Méchante, depuis Hot Creek jusqu’à la réserve. A Linkville, Oregon, une bande de querelleurs ivres menacèrent de lyncher les Modoc de Hot Creek et les effraya tellement qu’ils s’enfuirent pour rejoindre les fugitifs.

la bataille des lava beds 1
la bataille des lava beds 1

De gauche à droite, Scarface Charley, l’homme à la balafre sur la joue droite qui tourne la tête pour la cacher, Bogus Charley, ou «Charlie le Faux-Jeton», Steamboat Frank, ou «Frank du Bateau à Vapeur», Long Jim, ou «Jim le Long», et Shacknasty Jim. Long Jim porte une veste de l’Armée. Bien avant la guerre, beaucoup de Modoc avaient travaillé comme cow-boys pour les fermiers Blancs et avaient depuis longtemps abandonné leurs vêtements traditionnels. Mais une toque en fourrure Russe ou un petit chapeau de bourgeois, ça fait bizarre, sur la tête de Japonais. Ils ont les mains dans les poches. Manque plus que la cigarette.

Les fugitifs se rassemblèrent dans les Lava Beds, les Lits de Lave, cinquante miles carrés de prairies couvertes de buissons épineux et marquées par un paysage lunaire de restes volcaniques criblés de fissures, de crêtes et de grottes au Sud du Lac Tule. Le terrain accidenté des Beds offrait une série de positions défensives naturelles, et les Indiens y établirent une « forteresse » au milieu d’un fouillis de lave durcie, près des berges du lac. Lorsqu’il apprit la catastrophe dont ses subordonnés s’étaient rendus responsables, CANBY ordonna que l’on concentrât toutes les forces disponibles sur les Lava Beds. Son commandant sur le terrain était le Lieutenant Colonel Frank WHEATON du 21st. Infantry qui, comme CANBY, était un vétéran aguerri de la Guerre Civile.

Les forces de WHEATON comprenaient trois compagnies de la 21st. Infantry, trois de la 1st. Cavalry, et une section d’obusiers de montagne de 12 livres. Les 225 soldats de WHEATON étaient renforcés de 133 Volontaires de l’Oregon, dont beaucoup étaient des Indiens de la réserve Klamath, et 29 Californiens. En face de cette armée se trouvaient environ 150 Modoc, dont 50 guerriers.

Au soir du 16 Janvier 1872, comme les hommes de WHEATON prenaient place sur une falaise surplombant les Lava Beds, les Modoc terminaient la préparation finale de leurs défenses. Curly Headed Doctor érigea un totem pour la Dance des Esprits, décoré avec des talismans sacrés, au centre de la « forteresse », et entoura toute la zone d’un cercle protecteur fait d’herbe tressée peinte en rouge. Puis le sorcier entraîna les Modoc dans une danse lancinante qui dura toute la nuit, et dont les échos rebondirent sur les escarpements de lave vers des soldats grelottants agglutinés autour de feux de broussailles. WHEATON lança son assaut simultané de l’Est et de l’Ouest à 4H00 du matin. L’infanterie était armée du fusil réglementaire Springfield Model 1868 en .50-70.

Le Model 1868 fut la troisième des neuf versions du « Trapdoor », et on en fabriqua 51 389 exemplaires de 1868 à 1872. Beaucoup de composants proviennent des fusils Springfield Model 1861 et Model 1863. La caractéristique principale est la culasse pivotant vers l’avant, dont l’idée avait été piquée à Hiram BERDAN  par Erskine S. ALLIN. L’affaire fit l’objet d’un long procès finissant après la mort de BERDAN, qui criait tout le temps « ALLIN, pour qu’elle revienne… ».

Quelques-uns des Volontaires avaient été dotés de Springfield, et les autres portaient des fusils de sport. Les Compagnies B et G de la 1st. Cavalry étaient armées de carabines Sharps en .50-70, alors que la Compagnie F avait des carabines à répétition Spencer Model 1865 à sept coups en calibre .56-50. Les Modoc les affrontaient avec des fusils se chargeant par la bouche et des revolvers à percussion. Bref, ils étaient à 50 contre 387, et pas vraiment à armes égales. On sait donc déjà comment ça va finir : mal. Mais pour qui ?

Les obusiers de montagne donnèrent le signal de l’attaque, mais se turent bientôt parce qu’un brouillard blanc recouvrait le champ de bataille et gênait l’observation. Très vite, les hommes de GREEN se mirent à tirer sur des fantômes, alors que les Modoc les plus près se trouvaient à un mile de là et que leur forteresse était encore à plus de trois miles. Lorsque les soldats arrivèrent enfin à portée de tir, les Indiens, la tête hérissée d’un camouflage de buissons, ouvrirent un feu nourri sur eux puis disparurent. Les soldats se retrouvèrent seuls, piétinant lentement à travers une brume vide, et déchirant leurs chaussures et leurs habits sur les arêtes vives des rochers de lave. En fin d’après-midi, on mit fin à l’attaque. Les guerriers Modoc, aidés par leurs femmes qui rechargeaient les fusils de rechange pendant qu’ils tiraient, surent tirer avantage de leur ligne intérieure en envoyant de petites escouades d’un point à un autre, défiant effrontément leurs ennemis en leur envoyant injures et balles, les clouant au sol là où ils étaient. Avec tous les cris et les coups de feu qu’ils entendaient, beaucoup de soldats croyaient que les Indiens étaient plus nombreux qu’eux. La confiance de l’Army fondit encore plus lorsque plusieurs cartouches de Spencer ne partirent pas, et que certaines carabines Sharps s’enrayèrent à cause d’un extracteur défectueux. Au début de l’action, les Volontaires de l’Oregon avaient déjà déclaré une paix séparée, et beaucoup de réguliers se précipitèrent vers l’arrière pour se réfugier dans le brouillard. Au crépuscule, il restait moins de 100 soldats en action. Les Klamath ne montraient aucune envie de se battre, et donnèrent des amorces, de la poudre et des cartouches aux Modoc qu’ils rencontraient cachés dans le brouillard. Beaucoup de Modoc purent se réarmer avec des fusils, des carabines et des munitions que les autres avaient abandonnés. Voilà. Tout faux, les mecs, à peine c’est commencé.

Les Volontaires en retraite avaient laissé derrière eux des fusils Remington et Ballard, et Shacknasty Jim récupéra le trophée du jour, un fusil à répétition Henry à seize coups. Les Modoc démontèrent des cartouches capturées afin de récupérer de la poudre et du plomb pour leurs armes à chargement par la bouche. Du côté des défenseurs, les tireurs isolés avaient tué quatorze attaquants et en avaient blessé vingt trois, sans aucune perte chez eux. Le General CANBY renvoya un WHEATON écrasé qui, dans le sillage de sa défaite, avait appelé 1000 hommes en renfort avec un support de bateaux et de mortiers pour débusquer les Modoc. WHEATON fut remplacé par le Colonel Alvan C. GILLEM du 1st. U.S. Cavalry.

Jack et sa suite étaient partisans de la paix, mais il y avait d’autres factions dans la bande qui s’opposaient à tout compromis, dont les hommes de Hooker Jim qui avaient peur de représailles pour les meurtres des colons, et les partisans de Curly Headed Doctor qui croyaient que la magie du sorcier leur assurerait la victoire. Les parlementaires n’avaient pas pouvoir pour garantir à Jack ce qu’il voulait le plus : une réserve sur la Lost River ou même sur les Lava Beds. L’amnistie et la déportation était ce qu’ils pouvaient lui offrir de mieux. Pour compliquer les choses, l’Oregon poursuivit plusieurs Modoc pour meurtre. La sélection avait été faite au hasard et elle incluait Scarface Charley, lequel n’avait tué personne, sauf au combat. L’un des pontes de l’Oregon garantit aux Modoc qu’ils seraient tous pendus. Un autre leur dit qu’ils seraient brûlés vifs s’ils se rendaient. Pendant que la marée des palabres montait et descendait, les hommes de GILLEM se rapprochèrent des Lava Beds, et déconcertèrent les Indiens en capturant trente trois chevaux. Encore un coup dans le dos de ces salauds de visages-pâles à la langue fourchue. Pendant qu’on discute pour faire la paix, l’autre vient par derrière pour te niquer tes billes. Déjà maigre avant, l’intendance de Jack s’érodait. Déguisé de force avec des vêtements de femme avec des Modoc « durs » qui se moquaient de lui pour cette raison, Jack accepta finalement de les mener pour tuer les parlementaires au cours d’une rencontre prévue pour le 11 Avril 1873. Curly Headed Doctor, Hooker Jim et leurs partisans, étaient convaincus que l’armée battrait en retraite si le General CANBY était tué. Bien que prévenu du complot par Toby Riddle, Toby Devinette, une femme Modoc qui, avec son mari Frank, servait d’interprète, CANBY méprisa le danger. Les parlementaires MEACHAM et L.S. DYAR firent preuve de moins de témérité que le General et glissèrent des derringers dans leurs poches. Le dernier membre de l’équipe de négociateurs, le Reverend Eleasar THOMAS, avait placé toute sa confiance en Dieu. Lorsque les parlementaires et les époux Riddle arrivèrent à la tente de conférence qui avait été plantée entre les lignes, ils furent accueillis par Captain Jack et sept autres Modoc portant ouvertement des revolvers. D’autres Indiens, armés de fusils, étaient cachés dans les rochers. Coup tordu pour coup tordu. T’vas voir t’t’à l’heure. Comme CANBY distribuait des cigares, Jack, dans un dernier petit effort pour éviter un désastre imminent, réitéra une nouvelle fois sa requête pour une réserve, offrant même de croire CANBY « sur parole ». Le mot n’était pas, il ne pouvait pas l’être, à-propos. Sentant que les dés étaient jetés, Jack cria « C’est parti ! » en Modoc, dégaina son revolver et tira sur CANBY. L’arme fit long-feu, Jack ramena de nouveau le chien en arrière et appuya une nouvelle fois sur la détente, touchant le General en dessous de l’œil gauche. Mortellement blessé, CANBY tomba par terre, se releva et s’enfuit en titubant. Lorsque le General s’écroula de nouveau un peu plus loin, Ellen’s Man George, George le Mari d’Hélène, lui tira dessus avec un fusil, et Jack le poignarda. Ben merde… Pendant ce temps-là, Boston Charley, Charlie de Boston, tua le Reverend THOMAS, se moquant du prêtre parce que sa magie ne marchait pas. MEACHAM, brandissant son derringer, se retourna sur ses talons et se mit à courir, jusqu’à ce qu’il fût fauché par une balle et qu’il tombât au sol. DYAR, son derringer dans la main lui aussi, se précipita vers les lignes de l’armée avec Frank Riddle. Comme les deux hommes s’enfuyaient, les Modoc, qui n’avaient jamais eu la moindre intention de tuer les Riddle, d’ailleurs Scarfaced Charley qui refusait de participer à ces meurtres, avait menacé de tirer sur quiconque leur ferait du mal, se mirent à détrousser CANBY, MEACHAM et THOMAS. Jack prit la vareuse de l’uniforme du General et Ellen’s Man sa montre. Boston Charley fit quelques tentatives pour couper la tête de CANBY et se posait des questions sur la meilleure façon de scalper un chauve, lorsque Toby Riddle cria « Voilà les soldats ! » Les Modoc s’enfuirent. Des sauvages, que j’te dis, ces Indiens. Des sauvages ! A peine l’autre il est par terre qu’il a déjà plus de veste ni de montre. C’est comme si tu t’arrêtes sur l’autoroute pour changer un pneu, à peine t’as commencé à l’avant qu’il y a quelqu’un qui démonte la roue arrière pour partir avec. Et le gros chauve, ce con, y a même pas moyen de le scalper comme il faut. C’est quand-même un monde, çà, madame !

Lorsque l’histoire fut relatée dans les journaux, le public cria revanche. Le Président GRANT abandonna sa politique de paix, et le General William T. SHERMAN, qui était loin d’être un ami des Indigènes Américains dans les meilleures circonstances, préconisa une « extermination pure et simple » des Modoc et ordonna l’envoi de renforts vers les Lava Beds. Parmi les effectifs ajoutés aux forces du Colonel GILLEM, on compta 72 éclaireurs Indiens de Warm Springs, qui remplacèrent les Klamath inutiles. La force de l’armée grimpa à 1000 hommes y compris quatre compagnies de cavalerie, cinq d’infanterie et quatre batteries d’artillerie. Le 14 Avril, GILLEM donna l’ordre aux Compagnies F et K de la 1st. Cavalry, aux E et G de la 12th. Infantry, aux Batteries K, M et E de la 4th. Artillery, qui servait d’infanterie, et aux Indiens de Warm Springs, d’attaquer depuis l’ouest et le sud dans un mouvement de balayage. Trois compagnies de la 21st. Infantry et les Compagnies G et B de la 1st. Cavalry pénétrèrent de l’est, dans l’espoir de faire la jonction avec les forces de l’ouest. L’assaut commença le jour suivant et les Modoc prirent les soldats sous leur feu de loin. Quand le soleil se coucha et bien que les officiers eussent réussi à remettre leurs hommes en mouvement, les soldats, qui avaient perdu trois morts et six blessés, n’avaient avancé que d’un demi mile. Aucune perte n’était à déplorer chez les Modoc. L’armée s’enterra et résista pendant toute une nuit remplie de cris où on s’échangeait des obscénités et des coups de feu, et du grondement régulier des obusiers ainsi que des mortiers de campagne. Ces dernières armes, grâce à leur tir vertical, lâchèrent quelques obus directement dans la forteresse. Au matin, les soldats enjambèrent la corde magique, coupèrent les Indiens du lac et de leur réserve d’eau, et s’approchèrent à cinquante yards du quartier-général de Jack. La magie de Curly Headed Doctor fut encore plus sérieusement inefficace lorsque les Indiens souffrirent de leurs premières pertes depuis la Lost River. Plusieurs hommes et femmes avaient été blessés, et l’un des hommes s’était transformé en fumée en essayant de retirer avec ses dents la fusée d’un obus qui n’avait pas explosé. La situation tactique étant désespérée, Captain Jack exfiltra ses guerriers et leurs parents vers le sud, à travers les lignes de l’armée et sous le couvert de la nuit. Lorsque les soldats pénétrèrent dans la forteresse abandonnée le matin suivant, ils ne trouvèrent personne d’autre qu’un vieil homme blessé, lequel fut immédiatement tué et scalpé, et dont le trophée macabre fut divisé en huit morceaux. Inquiet de l’évasion de sa proie, le Colonel GILLEM expédia des patrouilles dans tout le pays aux alentours. Mais les Modoc étaient restés dans les Lava Beds, y trouvant du gibier et des grottes dans lesquelles ils puisaient de l’eau. En quelques jours, leur nouveau site fut découvert par les éclaireurs de Warm Springs.

Le 26 Avril, GILLEM envoya le Capitaine d’artillerie Evan THOMAS avec un détachement de 64 hommes, dont les Batteries A et K de la 4th. Artillery, et la Compagnie K de la 12th. Infantry, pour prendre position en hauteur d’où ils devraient bombarder les Indiens. Bien que les officiers des patrouilles fussent tous des vétérans de la Guerre Civile, ils méprisèrent les procédures de base en matière de sécurité et s’arrêtèrent pour déjeuner au centre d’une embuscade montée par Scarface Charley. Lorsque Charley et ses 24 guerriers ouvrirent le feu, les soldats paniquèrent. La Compagnie E du Captain Thomas WRIGHT tenta de donner l’assaut contre les attaquants, mais le Capitaine fut tué et ses hommes mis en déroute. Le Captain THOMAS rassembla vingt hommes dans un réduit, mais les Modoc gardèrent l’avantage et les tuèrent tous. Vers 03H00 de l’après-midi, Charley cria « Tout ce que ce qu’il vous reste à faire, à ceux d’entre vous qui ne sont pas encore morts, c’est de rentrer chez vous. Nous ne voulons pas vous tuer tous en un seul jour. » Puis il disparut avec ses Modoc. Bien qu’au courant de l’attaque subie par THOMAS, GILLEM était convaincu que le corps expéditionnaire n’était pas en danger et n’envoya pas de relève avant la fin du jour. Après avoir tâtonné toute la nuit, les renforts atteignirent le champ de bataille le lendemain matin. L’armée avait perdu 23 morts, y compris THOMAs et tous ses officiers, et 19 blessés. La plupart des hommes avaient été touchés plus d’une fois, et l’un des soldats avait reçu vingt balles. Les Modoc avaient peut-être perdu un seul homme.

Le désastre coûta sa place à GILLEM. Le Colonel Jefferson C. DAVIS, un dur à cuire vétéran de la Guerre Civile portant un nom bizarre, succéda à CANBY et prit lui-même le commandement sur le terrain. Eh oui, bizarre et incongru, ce nom, mais ce n’est pas le Jefferson DAVIS qui fut Président des Etats Confédérés pendant la Guerre de Sécession, celui-là s’appelait Jefferson F. DAVIS et il ne reprit pas de service dans l’armée. A l’époque où se passe cette histoire, l’ancien Président avait d’autres chats à fouetter contre le Gouvernement des Etats Unis, et dirigeait une compagnie d’assurance.

Peu de temps après l’arrivée de DAVIS, les Modoc capturèrent un nouveau convoi d’approvisionnement de l’Armée, blessant trois soldats de plus et continuant à se faire mal voir. En réponse, DAVIS envoya le Captain H.C. HASBROUCK avec la Batterie B du 4th. Artillery, montée et servant de cavalerie, les Compagnies B et G de la 1st. Cavalry et les éclaireurs de Warm Springs après les Modoc. HASBROUCK divisa ses forces, campant avec les compagnies de cavalerie sur les bords du Lac Sorass, où les Modoc lancèrent une attaque surprise à l’aube du 10 Mai. Bien que les Indiens fussent victorieux au début, HASBROUCK rassembla ses hommes et, pendant que le Sergeant Thomas KELLY hurlait « Nom de Dieu ! il faut charger ! », contre attaqua et parvint à les repousser. L’armée avait perdu trois morts et six blessés. Les Modoc, comme toujours, avaient donné plus qu’ils n’en avaient, ne perdant que Ellen’s Man. Par contre, ils perdirent leur intendance et la plupart de leurs munitions au profit des éclaireurs de Warm Springs, qui les attaquèrent au moment où ils se retiraient. Démoralisé par cette défaite, Jack fut abandonné par Hooker Jim et les militants qui l’avaient poussé à tuer CANBY. A court de vivres et de munitions, leurs vêtements en haillons et chassés par des soldats de plus en plus sûrs d’eux-mêmes, les Modoc commencèrent à craquer. La bande de Hooker Jim se rendit le 22 Mai. Jim, Bogus Charley, Steamboat Frank et Shacknasty Jim se portèrent très vite volontaires pour traquer Jack pour le compte de l’armée. Ils le trouvèrent bientôt. L’ironie de la reddition que lui demandaient ses anciens alliés, qui l’avaient eux-mêmes poussé donc ce combat inégal, ne fut pas perdue sur un Captain Jack en colère, lequel rejeta la proposition. Le temps travaillait pour le compte de l’armée, et les Modoc se rendirent par petits groupes, pendant toute la dernière semaine de Mai. La reddition ne signifiait pas forcément la sécurité, puisque quatre guerriers désarmés furent tués par les Vigilantes de l’Oregon. Jack, reconnaissant que « ses jambes le lâchaient », reconnut l’inévitable et capitula le 1er. Juin.

Le désir qu’avait DAVIS d’exécuter sommairement les chefs Modoc fut frustré par des ordres de Washington de juger sommairement Captain Jack, John Schonchin, qui était quelqu’un d’autre que le chef Old Schonchin, Slolux et Black Jim, pour l’assassinat de CANBY et de THOMAS. On accorda l’amnistie à Hooker Jim et à ses fauves pour les services qu’ils avaient rendu. Le procès, ou ce qu’il fut, eut lieu devant un tribunal militaire pendant que l’on montait un échafaud au dehors. Les Modoc accusés n’eurent pas d’avocat pour les défendre et ils furent très vite reconnus coupables et condamnés à être pendus. L’opinion publique nationale tourna très vite en faveur des braves et habiles soldats qui avaient combattu contre tous, pour le pays où ils étaient nés. En réponse, le Président GRANT gracia Barncho et Slolux, des jeunes hommes qui n’avaient joué qu’un rôle mineur dans les tueries. A 10H00 du matin le 3 Octobre 1873, après avoir, comme par humour noir, offert au prêtre qui était en charge vingt cinq chevaux et ses deux femmes s’il acceptait de prendre sa place, Jack et ses trois camarades furent exécutés. L’armée, en son honneur, refusa d’honorer les mandats d’arrêt de l’Oregon pour un certain nombre de guerriers survivants. Le 12 Octobre 1873, 153 Modoc entraient sur le Territoire Indien, arrivant finalement à la Quapaw Agency où on leur donna pour une valeur de 524,40 $ en bois de construction de façon à ce qu’ils pussent s’en faire des abris pour l’hiver. Au printemps, les réfugiés se déplacèrent vers une réserve de 4000 acres. Tragiquement, l’adaptabilité des Modoc à leur habitat ne s’étendit pas à leur santé. En 1879, il ne restait que 103 de ceux qui avaient été déportés d’origine. Leur santé était minée à la fois par la maladie et par les vols de leur agent, qui surpayait ses proches en rations et distribuait la plus grande partie de la nourriture quelque part d’autre pour son propre profit. S’il fallait dresser une liste des meilleurs guerriers Américains de toutes les races, les Modoc y auraient la première place, ou n’en seraient pas loin. Oubliés depuis longtemps par la plupart des gens, Captain Jack, Scarface Charley et leurs guerriers, combinèrent l’habileté des Seminole à utiliser le terrain, l’adresse tactique des Nez-Perce, et l’art de la guérilla des Apache. Les Modoc furent probablement de meilleurs tireurs que tous les autres. Jamais, avant cela ni depuis, si peu d’hommes n’ont fait, contre tant d’autres, tellement de choses avec si peu. Voilà, et tout çà à cause de ce petit con de Lieutenant BOUTELLE qui avait tiré le premier, presque un an et demi plus tôt.

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LE COLT POCKET MODEL 1849

Traduction d’un article de Ph. SPANGENBERGER dans D.G.W. Blackpowder Annual 1993

Alors que beaucoup de gens croient que le revolver Colt Single Action Army 1873 fut le six-coups qui gagna l’Ouest, il y eut tout plein d’armes de poing qui eurent un impact sur notre frontière américaine des années avant que le S.A.A. fût même un rêve. Bien-sûr, Colt était devenu synonyme de qualité des dizaines d’années avant 1873, grâce à ces armes totales que furent le 1851 Navy, le 1860 Army, les différents modèles de Dragoon, et d’autres. Ironiquement toutefois, malgré la bonne réputation qu’avaient gagné ces pistolets « de ceinture » ou bien « de selle », ce fut un petit pistolet à cinq coups qui donna au Colonel Samuel COLT une place solide dans le commerce des armes. L’époque de la moitié du dix-neuvième siècle fut une aventure globale. Dans pratiquement tous les coins du monde, il y avait de nouvelles terres à explorer et à conquérir, des frontières à domestiquer, et des fortunes à faire… ou à perdre. Ceux qui s’aventuraient dans ces terres sauvages voulaient la meilleure protection disponible. Les villes, elles aussi, étaient pourries de crime, et largement peuplées d’individus peu recommandables. Le chômage était souvent élevé, la famine frappait constamment de nombreuses villes de l’Ancien Monde, et l’absence d’une force de police forte, parfois l’absence de toute police, augmentait le péril pour le citoyen. La vie était telle en ces temps-là, que porter une arme personnelle n’était pas seulement raisonnable, mais c’était souvent nécessaire ! Se déplacer d’une zone peuplée vers une autre représentait souvent une entreprise dangereuse, avec ses bandits de grands chemins et ses bandes errantes de maraudeurs qui constituaient un péril pour le voyageur. Les fabricants d’armes étaient occupés à produire des armes à feu militaires et civiles, ainsi que des armes blanches, et la demande du grand public pour de petites armes de poing, faciles à cacher mais fiables, n’était pas une mince affaire. Sam COLT était un homme d’affaires astucieux et réalisa l’évidence de cette demande. Il réalisa aussi qu’une telle arme devrait être d’un prix abordable. On utilisait déjà des milliers de petits pistolets à un coup durant le milieu des années 1840. Leur taille variait de l’immense et encombrant pistolets de selle en gros calibre, aux minuscules et inefficaces modèles de « pistolets de veston ». Il y avait des pistolets équipés d’une lame de couteau, d’autres avec des poignées en forme de matraque, ou d’autres équipements auxiliaires dessus ou dedans, au cas où le coup tiré ne produirait pas l’effet désiré. Les « poivrières » à canons multiples tournants étaient elles-aussi assez populaires. Bien que ces dernières armes à feu ne fussent pas grand chose en matière d’armes de poing pour nos standards modernes, elles furent en leur temps considérées comme les meilleurs pistolets que l’on pût porter.

Etudiant les problèmes susceptibles de surgir pour produire une arme de poing fiable et de qualité, tout en gardant un prix d’achat qui la garderait à la portée du grand public, le Colonel COLT reprit soigneusement chaque stade de la fabrication de son gros revolver Dragoon. Il détermina que certains équipements, indispensables sur un gros revolver de ceinture, seraient inutiles pour un petit pistolet de poche, réduisant ainsi les coûts de production en temps et en main-d’œuvre pour une telle arme. Selon l’excellent ouvrage « Les Variations du Old Model Pocket Pistol de 1848 à 1872 » de P.L. SHUMAKER, on a estimé que le Colonel COLT élimina environ 85 des quelques 480 opérations nécessaires à la production de l’un des gros revolvers de la firme. La production du premier revolver de poche par Colt après l’effondrement de sa Patent Arms Mfg. Co. à Paterson, New Jersey, débuta vers 1847. Le résultat est ce que les collectionneurs appellent aujourd’hui le revolver Model 1848 Baby Dragoon. Cette arme est le prédécesseur du Pocket Model 1849. Avec une production d’environ 15 000 Baby Dragoon, il représente le premier modèle de poche fabriqué à l’usine Colt de  Hartford, Connecticut. En fabriquant le premier de ces nouveaux pistolets de poche de calibre .31, Colt voulait délibérément offrir une arme à feu bon marché qui pourrait se comparer plus favorablement aux armes de poing à un coup alors disponibles. Parmi les mesures destinées à réduire les coûts de fabrication du revolver Baby Dragoon de Colt, figurait le remplacement du traditionnel barillet à six coups que l’on trouvait sur le gros revolver de ceinture, par un autre qui n’en contiendrait que cinq. D’autres mesures incluaient un rempart sans découpe pour la mise en place des amorces, et l’absence du refouloir assemblé sous le canon. Pour charger ces premiers Colt, on devait d’abord chasser la clavette retenant le canon à la carcasse. Ensuite, on chargeait chaque chambre du barillet avec de la poudre, puis on forçait une balle dans chaque chambre en utilisant l’axe du barillet, échancré à son extrémité.

Après avoir procédé de la sorte, les amorces étaient posées sur les cheminées, on replaçait le barillet sur l’axe et on assemblait le tout en le maintenant avec la clavette. Enfin, on faisait tourner le barillet pour faire reposer le chien dans une unique encoche de « sécurité » située entre deux chambres. Parce qu’il n’y avait pas la découpe sur le rempart pour mettre les amorces, si l’une des amorces ne partait pas et ne faisait pas partir le coup, il fallait démonter le pistolet pour remplacer l’amorce. Cependant, en dépit de ces inconvénients, le nouveau revolver de poche de Colt était supérieur, dans sa conception et dans sa fonction, ainsi qu’en qualité, à toutes les autres armes de poing à un coup disponibles sur le marché. L’approbation du public était générale et ce nouveau petit pistolet fut un succès dès le début. Seul un petit nombre de Colt « Pocket » furent produits, environ 150, avant que la compagnie ne commençât à les perfectionner et les améliorer. On procéda à plusieurs changements : l’addition d’un refouloir pour faciliter le chargement, une découpe dans le rempart pour permettre le ré-amorçage sans démonter, et une petite roulette à la base du chien. De petites encoches furent alésées sur le barillet entre chaque chambre à la place d’une seule, et des encoches rectangulaires furent creusées dans le barillet pour le bloquer en place, au lieu des petites encoches rondes. On changea la détente et le pontet, et la forme du canon et de la carcasse fut légèrement modifiée et rallongée. Ces détails, ainsi que quelques changements cosmétiques, comme l’adoption d’une scène gravée représentant une diligence, les premiers Pocket Models reprenaient la scène de combat entre Ranger et Indien que l’on voyait sur le Dragoon et sur le Baby Dragoon, donnèrent ce qui fut connu comme le pistolet standard Model 1849 Colt Pocket Model.

Produit sous une variété de configurations et de longueurs de canons, le Pocket Model 1849 devint l’une des armes de poing les plus connues de son temps. La production de ce modèle débuta en 1850 et des milliers furent emportés vers l’Ouest dans la Ruée vers l’Or en Californie. C’étaient les armes favorites des mineurs, les postiers, et d’autres hommes de l’Ouest qui avaient besoin d’un petit revolver de poche. Sur la Barbary Coast à San Francisco, un joueur professionnel qui jugeait sage de garder un Colt Pocket caché sur sa personne quand il se livrait à sa profession douteuse, appelait parfois une telle arme son « cinquième as ». Pendant la Guerre Civile, les soldats en bleu ou en gris portaient des Pocket Model 1849 pour avoir un surplus de puissance de feu en cas de combat au corps à corps et, pendant des dizaines d’années au cours du milieu du dix-neuvième siècle, les aventuriers dans le monde entier louaient ces petits Colt dans les meilleurs termes. Bien que le Colt Pocket Model 1849 ne développait pas beaucoup de punch, ce n’était pas toujours nécessaire d’en avoir. De telles armes furent souvent utilisées comme moyen de pression en cas de situation difficile : une carte mal distribuée, une dispute au sujet d’une concession de mine, ou peut-être en faisant un prélèvement bancaire… Souvent, il n’y avait juste qu’à brandir une arme à feu pour obtenir le résultat désiré. Lorsque c’était le cas, ce qui se passait alors résultait plutôt de beaucoup d’autres facteurs que la puissance de l’arme. Une balle ronde ou pointue de calibre .31 pèse environ 45 grains de plomb pur et mou. Avec une charge standard de 15 grains de FFFg de poudre noire, la balle voyage à quelques 590 FpS et touche avec un peu moins de 35 FP d’énergie. En comparaison, le petit .32 S&W tiré dans les revolver à canons courts développe approximativement 680 FpS, et délivre 90 FP de choc. Pour les standards modernes, ces Colt de poche sont donc loin d’être impressionnants. Mais, utilisés à des distances comme autour d’une table de cartes, et si l’on prend en considération le projectile en plomb mou, avec la technologie relativement primitive de l’époque, spécialement si la victime était blessée dans le désert ou dans un camp perdu de mineurs où l’aide médicale compétente n’existait souvent pas, il est facile de comprendre comment on peut se servir d’un revolver si anémique. Bim, Bim, dans la tête, entre l’œil et l’orbite vers l’hypophyse, ou bien dans l’oreille vers le cervelet, et on n’en parle plus. Malgré la petite taille et la puissance relativement faible, ces revolvers pour tirer à courte distance étaient autant considérés à leur époque comme l’armement personnel d’un homme, que toute autre arme à feu. En Juillet 1850, le Missouri Commonwealth se vantait de la sécurité qu’il apportait à ses clients sur une nouvelle ligne de diligence à mule, reliant Independence, Missouri, à Santa Fe, New Mexico : « Le courrier est gardé par huit hommes, armés comme suit : Chaque homme a sur le côté, attaché à la diligence, un fusil revolver Colt, dans un holster plus bas, un long revolver Colt, et dans sa ceinture, un petit revolver Colt, à côté d’un couteau de chasse. Ainsi, ces huit hommes sont prêts, en cas d’attaque, à tirer 136 coups sans avoir besoin de recharger. » Dans ses récits humoristiques qu’il fait sur ses voyages dans l’Ouest dans les années 1860, Mark TWAIN fait état d’un conducteur de diligence qui s’arma avec l’un des petits revolvers de poche de Colt.

On trouve d’autres témoignages de la popularité du Colt Pocket Model 1849 dans le fait que, dans les mines d’or de Californie au début des années 1850, la demande pour des revolvers de qualité était si grande que l’usine Colt de Hartford, Connecticut, était incapable de faire face aux commandes. Les gros Colt de ceinture qui se vendaient autour de 16,00 $ à 18,00 $ sur la côte Est, se revendaient jusqu’à 250,00 $ ou 500,00 $ la pièce dans l’Ouest ! Même le petit ’49 en, calibre .31, moins cher, atteignait un prix de près de 100,00 $ sur la côté Ouest. Le Colt Pocket Model 1849 était vendu avec des longueurs de canons de trois, quatre, cinq et six pouces. Les tubes de quatre et de cinq pouces étaient les plus courants, alors que la version à six pouces semble la plus rare. Le Pocket Model possédait un canon et un barillet bronzés bleu, alors que la carcasse et le refouloir étaient jaspés. Les garnitures étaient généralement plaquées argent sur du laiton, bien que certaines furent faites en fer bronzé ou plaqué argent. Les crosses standard d’usine étaient faites dans une pièce de noyer, typique des Colt de cette époque. On proposait également de l’ivoire ou d’autres matériaux exotiques, et les armes présentant de telles poignées de luxe, soit lisses ou finement gravées, servaient de pièces d’exposition de grand luxe. On les rencontre avec une variété de marquages sur le canon, y compris deux variantes d’une adresse à New York, un marquage Hartford, CT., et l’adresse à Londres, tous sur le haut du canon. Bien que l’une des améliorations du Pocket Model 1849 fût l’intégration d’un refouloir, un petit nombre d’entre eux fut produit sans. Ces revolvers à canon de trois pouces, sans leviers de chargement, ont été appelés modèles« Wells Fargo ». Il n’y a pas de preuves que la compagnie de diligence bien connue ait un jour adopté ce revolver comme arme officielle pour ses conducteurs, ses gardes ou ses divers agents. En tous cas, ces pistolets ne se vendirent jamais bien, et vers 1860, Colt essaya de vendre le solde du stock de ces revolvers sans refouloir en leur en mettant un. Ceci fut fait en modifiant sommairement le levier de chargement du modèle standard à quatre pouces. Mais ces pistolets rencontrèrent la désapprobation du public, car le levier était trop court pour permettre la pression nécessaire à mettre la balle en place. On a estimé qu’environ 100 de ces Pocket Model à trois pouces transformés sortirent de l’usine. Aujourd’hui, de tels Colt transformés en usine sont des pièces de collection extrêmement recherchées. Il n’y a pas de doute que les employés de la Wells Fargo ont bien utilisé des Pocket Model 1849, avec et sans refouloirs. Beaucoup ont été achetés sur fonds privés, comme d’autres armes, et furent certainement portées par les conducteurs de diligence et d’autres agents de la W.F. & Co. On connaît deux Model 1849 dans la Bank’s History Room de la Wells Fargo à San Francisco, qui portent des inscriptions les identifiant comme ayant appartenu à la compagnie. Pendant les 23 ans qu’il resta en production, environ  325 000 exemplaires du Pocket Model 1849 furent fabriqués à l’usine Colt de Hartford. Un autre lot de 11 000 fut produit à l’usine de Londres, Angleterre. Les armes Anglaises sortirent entre 1853 et 1857, et sur les modèles les plus anciens, les garnitures sont en laiton avec les bords du pontet arrondis. Les modèles tardifs eurent des garnitures en fer et un grand pontet ovale. La production de cette arme de poing fut finalement arrêtée en 1873, lorsque Colt commença à produire des revolvers tirant des cartouches métalliques. Le Colt Pocket Model 1849 fut parmi les revolvers à percussion qui furent convertis à l’usine Colt, dans une première tentative de produire des armes de poing tirant des cartouches métalliques. En plus de cela, on a trouvé des Colt Pocket ’49 qui avaient été convertis par d’autres armuriers que ceux de l’usine, une preuve que la popularité de l’arme continua loin après l’âge de la percussion. Avec des concepts plus nouveaux et plus solides en matière d’armes de poing, ainsi que des munitions plus élaborées, le Colt Pocket Model 1849 fut lentement remplacé par des armes plus modernes. A l’époque de sa gloire, pourtant, le Pocket Model 1849 fut le revolver à percussion produit dans le plus grand nombre que tous les autres, et l’arme qui plaça Samuel COLT et sa compagnie légendaire dans les affaires pour une éternité.

LES ARMES DES CHERCHEURS D’OR « QUARTANTE-NEUVIENS »

Traduction d’un article de Rick HACKER paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1983

( les remarques en italique sont du traducteur )

S’il y a un événement qui peut être tenu pour avoir été le point de départ de la grande migration de colons vers le Far West, l’Ouest Lointain, c’est la Ruée vers l’Or de Californie en 1849. En une seule année, ce qui n’avait jadis été qu’un endroit tranquille, rural et presque ignoré, un lacis de rivières paresseuses et de collines de genévriers qui s’élevaient doucement pour rejoindre les crêtes recouvertes de pins et de granit de la Sierra Nevada, la Montagne Enneigée, se transforma en des villes grouillantes de communautés agitées, construites à la hâte et n’importe comment, de routes encombrées de chariots et d’essaims d’une importance jamais vue auparavant, d’hommes, de femmes et d’enfants issus de toutes les couches sociales et venant de pratiquement tous les coins du globe. En moins de dix ans, la population de la ruée vers l’or de Californie gonfla de 14 000 en 1848 à plus de 380 000 en 1860. Et pour moi, de 1848 à 1860, ça ne fait pas moins de dix ans, ça en fait douze. Ironiquement, la première fois où l’on découvrit de l’or fut un événement très peu relaté, et l’homme à qui l’on attribue généralement cette ruée vers l’or, John Augustus SUTTER, mourut dans la misère, se lamentant « Mes jours les plus beaux furent ceux d’avant la ruée vers l’or »C’est donc le seul mec, déjà riche avant, que la découverte d’or rendit pauvre. En fait, les autres sont venus prendre l’or que l’on trouvait chez lui, certains y moururent, souvent d’une mort violente, avant d’en avoir trouvé, d’autres moururent dans la misère sans en avoir trouvé, d’autres moururent aussi dans la misère, après en avoir trouvé mais après l’avoir flambé, d’autres encore repartirent avec une fortune, mais lui n’en chercha jamais, alors qu’il était à sa portée puisque tout le pays était à lui, et les cafards fous lui ont massacré son petit coin de paradis. Avant la découverte de « couleur », SUTTER était l’homme le plus important et le plus influent dans la région du delta du Sacramento en Nouvelle Californie. Sa forteresse de cinq acres, qu’il appelait « New Helvetia », la Nouvelle Suisse, était un empire miniature fait d’un mur de deux pieds et demi formant un fort autonome qui avait des écuries, des jardins, une forge, une tannerie, des magasins généraux, bref, tout ce dont on pouvait avoir besoin pour vivre dans un pays rural où personne ne venait déranger et que presque personne ne venait visiter. Le fort lui-même était gardé par de hautes tours et des canons à chaque point stratégique. A l’époque où les Etats Unis arrachèrent l’Alta California au Mexique en 1846, c’est-à-dire la Haute Californie ou la partie Nord aujourd’hui américaine, en comparaison avec la Baja California qui est toujours mexicaine, SUTTER se sentait en sécurité. Bien qu’il fût un immigrant Suisse et que le Général Guadalupe VALLEJO lui eût donné officiellement le grade militaire de Capitaine, sa loyauté était pour les « States ». Il ne se rendait pas compte de la menace qui l’attendait sous les eaux tumultueuses de la rivière America, à quelques miles en amont de son enceinte fermée. Dans ma collection personnelle, j’ai une reproduction relativement rare du journal de la New Helvetia de SUTTER. En lisant les mots de SUTTER au sujet de ces années tranquilles précédant la ruée vers l’or, je ne vois presque pas de mention sur des armes, de quelque sorte que ce soit, à l’exception du canon qui gardait le fort. Pourtant, les armes à feu ont toujours fait partie de toute manière de vivre sur la frontière et, au cours de visites personnelles sur les restes reconstruits, en un peu plus petit, de Fort Sutter, je ne fus pas surpris de découvrir l’existence d’armes longues, la plupart des mousquets et des fusils de type militaire, que l’on utilisait à l’époque à la fois pour se procurer de la nourriture et pour assurer sa protection personnelle. Malheureusement, à cause des effets du temps et de la corrosion, seuls ont pu être identifiés un mousquet modèle U.S. 1795 et un fusil rayé modèle Mississipi 1841, en même temps que quelques fusils de chasse juxtaposés à percussion, l’un des outils les plus utiles, comme nous allons le voir, pour les « quarante-neuviens », appelons-les comme çà, ces hommes et ces femmes de la Ruée vers l’Or de 1849, pour rester fidèle à l’expression de l’auteur tout en ne tombant pas dans l’imitation « soixante-huitard » sur le retour d’âge. Bien sûr, ce ne fut pas une surprise de découvrir des fusils militaires à Fort Sutter, car ce havre bien connu était une escale programmée pour quiconque voyageait tranquillement à travers la Californie avant la ruée vers l’or. C’est cette popularité de la New Helvetia, et le désir de SUTTER d’étendre son empire, qui furent responsables, indirectement en tous cas, de sa perte. Un autre facteur qui dut y contribuer fut qu’il négligea de réaliser l’importance que la découverte de l’or allait apporter à la région.

John SUTTER fut peut-être un homme aimable, généreux et sociable, mais les preuves suggèrent qu’il n’était pas vraiment un homme d’affaires. « J’avais besoin… d’un moulin à blé et d’une scierie » écrivit-il dans ses « Reminisces », ses souvenirs« J’avais commencé à construire un moulin à blé en 1847 sur les bords de la rivière America, à environ quatre miles en amont du fort… Tout était prêt, et le moulin aurait pu commencer à tourner dans les six semaines suivantes si la nouvelle de la découverte d’or avait pu être gardée secrète aussi longtemps que cela. » SUTTER n’avait pas vraiment d’opinion sur l’or, mais il en avait encore moins pour l’homme qui en trouva le premier sur ses terres. « J’avais parmi mes employés un homme du nom de James Wilson MARSHALL » se rappelait SUTTER « Un bon mécanicien… Quand j’ai parlé du moulin avec lui, il m’a dit qu’il pensait être capable de le construire. J’avais des doutes sur la confiance que je pouvais lui accorder si je ne le surveillais pas, à cause de son excentricité, mais… je n’avais personne d’autre, c’est pourquoi j’ai été dans l’obligation de miser aléatoirement sur l’homme. » Le monde idyllique de John SUTTER commença à s’écrouler le Vendredi 28 Janvier 1848. A cette date, il écrivit avec un euphémisme suprême dans son journal « Aujourd’hui, Mr. MARSHALL est revenu des Montagnes avec une affaire très importante. » Cette « affaire très importante », c’était une grosse pépite d’or pur que MARSHALL avait trouvée dans le gravier du lit de la rivière America. La réaction immédiate de SUTTER fut d’essayer de cacher la nouvelle de la découverte, mais comme son fort était l’endroit même par où transitaient toutes les informations de la région, elle ne mit pas longtemps à se répandre : il y a de la « couleur » dans la rivière, juste là, à la surface, qui attend que l’on vienne la ramasser. Dans son journal, SUTTER ne fait pas mention du terme « or » avant trois mois après sa découverte initiale, mais il est évident d’après ses notes que des visiteurs et des travailleurs du fort se promenaient dehors toute la journée, à la recherche du précieux métal. Enfin, la nouvelle atteignit San Francisco, ce qui fut le début de la fin pour SUTTER et celui de la plus grande ruée vers l’or que le monde eût jamais vu auparavant. « La grande ruée des prospecteurs de San Francisco arriva au fort en Mai 1848 » écrit SUTTER « Toutes les maisons de mes amis et des gens que je connaissais au fort étaient pleines. Des marchands, des docteurs, des avocats, des capitaines au long cours, tous y vinrent. Tout n’était que chaos. Mes propres hommes me désertaient. Je n’arrivais même pas à fermer le portail pour garder cette racaille dehors. » Les milliers de personnes qui arrivèrent avec la première vague firent piétiner les champs luxuriants de SUTTER par leur bétail et leurs chevaux. Tout ce qui ne fut pas détruit fut pillé, depuis les pierres avec lesquelles le fort avait été construit, jusqu’au canon qui le gardait. Les nouvelles allaient lentement à cette époque-là, et il se passa bien six mois avant qu’elles ne fussent colportées par les bateaux à aubes et les cavaliers au reste du pays, lequel ne se doutait de rien mais était impatient de savoir et à l’écoute de tout. Les « States » éclatèrent immédiatement en une épidémie de fièvre de l’or à laquelle très peu avaient été préparés. Peu importe que peu d’hommes savaient exactement à quoi ressemblait l’autre côté du Mississipi. Peu importe que personne ne sût combien de temps durait un voyage par la terre et de combien de provisions on aurait besoin. Peu importe qu’il n’y eût que peu, s’il y en avait, de vie civilisée dans la Great Platte Valley. Quelque part là-bas, à l’Ouest des Rocheuses, quelque part dans la Sierra Nevada, où qu’elle fût, l’or attendait que les premiers qui y arriveraient le ramassent ! C’était « Ca passe vers la Californie ou ça casse ». Et beaucoup passèrent pas la case « cassé » bien avant d’arriver aux sites, ou juste après. Il y avait uniquement deux moyens pour arriver aux champs aurifères de la Californie, par bateau autour du Cap Horn, ou à pied, à cheval ou en chariot, à travers les Grands Plaines encore largement inexplorées. Le voyage par mer était cher et durait de deux à trois mois, selon le temps. On y était également très à l’exigu et c’était extrêmement coûteux en comparaison avec le voyage par la terre. Mais par la terre, il fallait six mois en moyenne aux quarante-neuviens pour franchir les 2000 miles passant par des plaines vallonnées, des déserts brûlants et des montagnes abruptes, le tout assaisonné de vents qui soufflaient à 80 miles par heure, des pluies torrentielles, de la boue où l’on s’enfonçait jusqu’aux essieux, et un froid qui glaçait les poumons. En plus de cela, il y avait un vrai problème de temps, car tout pionnier qui essayait d’atteindre la terre promise dorée de Californie, devait arriver à trouver son chemin par dessus les Sierras avant les premières neiges de l’hiver. Si les Indiens, la faim et les bandits n’avaient pas pris leur part, le climat le ferait, l’exemple le plus remarquable en étant la fatidique Donner Party. Mais ceux qui arrivaient à survivre au voyage vers la Californie, par la terre ou par la mer, le faisaient grâce à la chance, une bonne dose d’expérience et leur habileté à manier leurs armes.

Le fusil de chasse juxtaposé à percussion fut de loin l’arme longue la plus utile et la plus nombreuse dans les champs aurifères. L’éparpilleur, l’arme standard utilisée pour remplir le garde-manger et apportée dans les fermes américaines du début du XIXème. siècle, se révéla être un compagnon fiable pour le petit gibier dans les champs aurifères de Californie, et ses canons béants au calibre de 12, de 10 ou de 8 étaient un argument de poids contre tout intrus potentiel sur la concession. On pouvait le charger avec du petit plomb pour le petit gibier, de la balle ou de la chevrotine pour le tir à courte distance sur du chevreuil et, quand les temps étaient durs, on pouvait même utiliser quelques petits galets de la rivière pour essayer de mettre quelque chose dans la gamelle. Et plus d’une fois, le vieil « éparpilleur » fut chargé d’une once ou deux de poudre d’or que l’on tira dans le lit d’un ruisseau ou sur une saillie de granit, pour « saler » une concession improductive de façon à pouvoir la vendre à un pied tendre nouvellement arrivé, pour beaucoup plus que n’en valait le terrain.

Etrangement, il y eut peu de criminalité au cours des premières années de la ruée vers l’or. Il y avait relativement peu d’hommes sur une immense région, l’or était facile à trouver et en abondance pour chacun, et une espèce d’esprit de camaraderie régnait. Mais au fur et à mesure que les prospecteurs usurpaient de plus en plus les limites des concessions et que des hommes aux valeurs morales différentes commencèrent à se mêler à ceux déjà présents, la situation changea. Dans son livre « Life on the Plains and At the Diggings », La Vie dans les Plaines et dans les Concessions, publié en 1854, Alonza DELANO décrivit son expérience en tant que l’un des premiers quarante-neuviens : «  Vers 1850… beaucoup en arrivèrent à voler… il devint nécessaire de garder sa propriété avec autant de soin que dans les vieilles villes d’où nous venions. On peut dire que l’hiver de ’49 et ’50 peut être considéré comme l’époque où la criminalité à commencé… » A peine quelques mois plus tôt, DELANO parlait d’un étranger qui campait avec lui pendant la nuit et qui laissait nonchalamment son sac d’or à la vue de tous, non gardé, pendant qu’il dormait. A présent, ces temps-là étaient révolus pour toujours dans les champs aurifères de Californie.

Les armes à feu devinrent un moyen de protection autant que pour se procurer de la nourriture. Au début, on prenait avec soi sur le terrain des pistolets à un coup à percussion, quelque peu encombrants à porter, pour la protection individuelle. Ils étaient relativement peu coûteux, pouvaient tirer une forte charge, et beaucoup de chercheurs, les ayant utilisés alors qu’ils étaient au service du gouvernement, savaient s’en servir. D’autres, exigeant plus de puissance de feu que de pouvoir, choisirent la « poivrière », un revolver à plusieurs canons qui, bien qu’encombrant à garder lorsqu’il était simplement glissé dans le haut du pantalon, était cependant très populaire. La poivrière offrait cinq ou six coups sans recharger, mais son défaut majeur était que les calibres étaient parfois faiblards et les charges légères. Pour le quarante-neuvien qui n’avait pas peur de s’embarrasser d’un peu de poids supplémentaire pendant qu’il travaillait sur sa concession, le gros Colt Dragoon Premier ou Second modèle de quatre livres, avec une charge musclée de 40 grains de poudre et une balle de .44, apportait la combinaison idéale de cinq coups de combat, la sixième chambre étant souvent laissée vide par les gens qui étaient sur le terrain, de peur que le lourd revolver ne glisse accidentellement de son étui ou de la ceinture et ne se décharge accidentellement en heurtant le sol rocailleux. Ces revolvers furent largement utilisés par les troupes montées des Etats Unis, et beaucoup d’armes d’ordonnance furent « libérées » pour servir dans les champs aurifères. Beaucoup plus furent achetés par des hommes qui voulaient un avantage en pouvoir d’arrêt, au cas où cela serait nécessaire pour défendre une concession à courte distance. Bien que le massif Colt Walker dominât les Dragoon, peu de ces armes furent utilisées dans les champs aurifères, puisque seuls 1100 Walker furent fabriqués et que, parmi ceux-ci, la plupart furent affectés pendant la Guerre du Mexique, n’en laissant que 100 pour le marché civil. Toutefois, il existe des traces d’un Walker transporté dans un sac de toile vers la fin de la ruée vers l’or, par un vieux vétéran grisonnant qui râlait parce qu’il ne trouvait jamais d’étui assez grand pour son pistolet d’arçon. Cet exemple, qui mentionne une arme à feu par son nom, est assez rare car, lorsqu’on lit des récits contemporains de la ruée vers l’or, il y est fait peu allusion à tel ou tel type d’arme, plus souvent citée comme « pistolet » ou « fusil ». Il s’agit là d’une chose normale, à une époque où le fait de porter des armes était aussi courant que de porter une montre au poignet aujourd’hui. Nous donnons rarement le nom de la marque. Nous disons plutôt « J’ai jeté un coup d’œil sur ma montre… »

Pourtant, il y eut une arme qui était apparemment très estimée aux yeux des quarante-neuviens et que l’on arrive à identifier parfois, et cette arme, c’est le Colt 1851 Navy ou, comme on l’appelle souvent, le « Navy de chez Colt ». Une société qui vendait des catalogues d’accessoires à emporter par les prospecteurs potentiels pour leur voyage vers l’Ouest, alla même aussi loin que dire « aucun homme ne devrait être sans le 1851, car avec lui, il pourra obtenir tout ce dont il a besoin » ! Même pas peur, le mec. « Achetez donc mes flingues, plutôt que de payer pour une concession de merde où on va vous arnaquer. Au moins, avec mon ’51, vous pourrez en avoir une à l’œil ! » De nos jours dans les pays civilisés, la boîte qui ferait ce genre de publicité serait immédiatement poursuivie pour incitation à la violence. Bien sûr, le Colt 1851 ne sortit pas avant deux ans après la première vague de prospecteurs et même alors, il fallait à n’importe quelle quantité de ce genre d’arme six mois avant d’arriver au Far West. Mais jusque là, il n’y en avait pas encore vraiment besoin. « Pendant l’année 1849 » écrivait Alonzo DELANO dans son livre « le brigandage était rare… on laissait les coffres et les ballots ouverts et exposés… dans les rues bondées des nouvelles villes. L’or ne semblait pas tenter… les hommes à la malhonnêteté et on entendait rarement dire qu’un chercheur s’était fait voler. » Mais en 1851, tout cela avait changé. Les premières trouvailles faciles du début avaient déjà été prises et chercher de l’or était devenu un travail sérieux, éprouvant et souvent ingrat. En conséquence, il y eut des individus qui commencèrent à chercher des moyens plus faciles pour faire fortune. Et les armes des quarante-neuviens, qui avaient auparavant été reléguées à des tâches domestiques, eurent à présent un nouveau rôle à jouer comme moyens d’auto-défense. « Le brigandage et le meurtre étaient quotidiens », dit DELANO à propos de ces années turbulentes. « Des bandes organisées de voleurs existaient dans les villes et dans les montagnes… il était risqué de ne pas être armé. »

C’est dans ces décors qu’entra en scène le Colt 1851, le revolver à percussion le plus populaire sur le marché de l’époque, à cause de sa fiabilité, son excellent équilibre, sa taille idéale et la réputation de son fabricant. Les chambres du Navy étaient suffisamment profondes pour contenir 20 à 25 grains de poudre derrière une balle ronde de calibre .36, donnant ainsi nettement moins de pouvoir d’arrêt que les puissants Dragoon, mais si les coups étaient bien placés, le Colt .36, rapide à pointer, devenait un bon moyen de garder l’or dans la poche du juste. Mais, même quand le précieux métal se trouvait du côté de son véritable propriétaire, cela ne voulait pas forcément dire que le danger était passé. « Dans une maison de jeux… » dit DELANO « un homme qui quittait la ville pour rentrer chez lui se laissa entraîner à tenter sa chance à la table de jeux… fâché d’avoir perdu son argent, il essaya de se refaire en sortant son pistolet devant l’autre joueur, lequel l’étendit raide avec le sien » Ces rencontres à très courte distance avec les gens de la ville se disputaient souvent avec le minuscule Deringer, un petit pistolet de veste à un coup à percussion et au canon court, très populaire. D’abord produit par Henry DERINGER Junior de Philadelphia, ces armes de défense tenant dans la paume de la main, mais de gros calibre, souvent en .40 ou en .50, étaient souvent portées par les joueurs professionnels, les voyageurs en diligence qui se rendaient vers les champs aurifères ou qui en revenaient, les femmes de toutes réputations, et les hommes d’affaires qui restaient généralement près des quartiers populeux, dans ces nouvelles villes champignons de la ruée vers l’or. Avec sa charge de 15 grains, le Deringer manquait de puissance pour être efficace plus loin qu’à 25 pieds, mais grâce à sa petite taille qui permettait de le dissimuler facilement, donnant à son propriétaire l’avantage de la surprise contre son antagoniste, il devint la deuxième arme de poing la plus populaire de la ruée vers l’or, et on l’apprécia tellement que son nom devint synonyme de toutes les autres armes de configuration similaire. Comme pour le Deringer, on choisit les petits Colt de poche modèles 1848 et 1849, comme le Baby Dragoon et le Wells Fargo, pour leur taille compacte plutôt que leur puissance. Mais comme il s’agissait de revolvers, leurs barillets de cinq et six coups pouvaient tirer plusieurs fois si besoin, et même le petit calibre .31 occasionnait des dommages graves à courte distance. Légers, les pistolets de poche étaient pratiques à emporter dans ses bagages pour un chercheur qui aurait à marcher plusieurs miles à travers les collines de la rude Sierra Nevada. Beaucoup de ces pistolets Colt servirent d’arme « de la deuxième chance » aux hommes pour qui la vie dans les champs aurifères valait plus qu’une simple aventure. Il existe également des preuves que l’une des nombreuses sociétés de messagerie qui abondaient en ces temps-là, équipait ses cavaliers avec des Colt modèle 1849 à canon de 3 pouces.

Bien qu’ils fussent loin d’être le choix optimum pour un homme à cheval, les petits Colts avaient l’avantage d’être les pistolets à plusieurs coups les plus compacts disponibles à l’époque. A un moment de la ruée vers l’or, le Colt modèle 1849 était tellement demandé que ces armes se vendaient au marché noir à 100 Dollars l’unité, la même coûtant moins de 15 Dollars aux « States ». Mais c’était là le prix de la protection dans un pays où la population continuait à grossir avec de nouvelles, et toujours plus diverses, espèces du genre humain, pas toujours accueillantes, et toutes attirées par le leurre de la fortune immédiate. Les joueurs professionnels, les voleurs de concessions et les brigands n’étaient pas les seuls dangers dans ces collines de quartz et de granit au pays de l’or. Ce n’est pas par hasard que l’ours figure sur le drapeau de la Californie aujourd’hui, et en ces temps reculés, avant l’écrasement de la civilisation, il y en avait beaucoup, et pas toujours très d’accord pour céder leur territoire à un homme qui venait avec une pelle et une pioche. Les premiers Kentucky Rifle et fusils à écureuils, légers, que certains quarante-neuviens avaient apportés avec eux, se révélèrent bientôt inutiles dans la nouvelle réalité de l’Ouest. Un récit de l’époque parle d’un mineur attaqué par un grizzly, pendant que ses trois filles, chacune armée de son propre fusil, tiraient à bout portant dans la tête de l’ours avant qu’il fût enfin tué. Trois coups étaient plus que ne pouvait tirer tout fusil de l’époque, et il n’est pas surprenant d’apprendre que les lourds fusils des plaines, aux gros calibres et au demi-fût à l’avant, furent les armes favorites des chercheurs d’or. Beaucoup d’entre eux avaient vu ce que pouvaient faire ces fusils dans les mains de leurs guides, souvent des anciens trappeurs des Montagnes Rocheuses qui utilisaient leur expérience du Far West pour faire traverser les majestueuses Sierras aux nouveaux-venus. Les Hawken, aussi rares qu’ils fussent, trouvèrent leur chemin vers les champs aurifères. Les Dimmicks et les Lemans trouvèrent eux aussi leur place dans plus d’une cabane de mineur ou une tente, et servirent leurs propriétaires comme ils le devaient en leur apportant de la viande pour la table, ou en leur accordant un coup à longue distance sur un suspect qui aurait pu être un « bandito ». Il y avait peu de tribunaux en Californie, et le juge, l’avocat et le bourreau se trouvaient souvent sous le même chapeau. En plus de ces « armes de sport » pour les civils, comme on les appelait parfois, les armes militaires firent elles aussi leur chemin vers la Californie. Bien que la platine à silex fût considérée comme dépassée par la plus moderne platine à percussion, un certain nombre de fusils à silex et de mousquets du début du XIXème. siècle convertis à la percussion furent utilisés par quelques mineurs. Ces armes étaient solides et, chose plus importante pour un homme pauvre, étaient relativement bon marché. Bien sûr, le plus prisé fut le fusil rayé Mississipi U.S. Model 1841, une belle arme à percussion en calibre .58, garnie de laiton, qui avait déjà fait ses preuves lors de la récente Guerre du Mexique. Comme le Walker, certaines de ces armes furent « libérées » pour que l’on s’en servît en Californie, mais une quantité beaucoup plus importante fut achetée comme surplus de guerre avant la fin de la ruée vers l’or, constituant ainsi une arme fiable contre tout mauvais comportement d’homme ou de bête, au pays des quarante-neuviens. Comme l’or se faisait plus rare à trouver, et plus cher et difficile à exploiter, certains chercheurs quittèrent le pays. Ironiquement, au cours des premières années de la ruée vers l’or, l’homme ne cherchait que la « couleur », au point d’en arriver à échanger l’argent que certains trouvaient parfois en creusant dans le granit. En fait, il est intéressant de noter que beaucoup de mineurs qui travaillèrent les trésors d’argent du Nevada venaient des champs aurifères de Californie, et que ceux qui découvrirent le fameux Comstock Lode, le Filon de Comstock, étaient d’anciens quarante-neuviens.

En 1858, la grande ruée vers l’or avait vécu. Cette année-là, l’historien John S. HITCHELL écrivit « Le pays était plein d’hommes qui n’arrivaient plus à gagner la vie à laquelle ils s’étaient habitués… ils étaient prêts à aller n’importe où s’il y avait un espoir raisonnable d’y trouver la richesse en creusant, plutôt que de se soumettre à une vie sans la grosse paie et les plaisirs dont ils avaient joui pendant des années dans les placiers de Sacramento. » Cela ne veut pas dire que tous les quarante-neuviens en ressortirent plus pauvres que lorsqu’ils y entrèrent. Loin de là. En fait, il restait juste assez d’histoires de succès pour continuer à faire rêver. Un chercheur d’or trouva une pépite de 2000 Dollars le premier jour de l’exploitation de sa concession. Pour un autre, ce qu’il écopa un jour en une seule batée fut estimé à 1500 Dollars. Il est vrai que certains trouvèrent littéralement leur fortune dans une nouvelle aventure encore jamais racontée, si l’on avait assez de force et de courage pour lui courir après. Toutefois, rien de cela n’aurait été possible sans l’outil qui donnait à chaque homme la même chance face au danger et à la difficulté, les armes des quarante-neuviens. Pour beaucoup, ces armes prouvèrent qu’elles étaient beaucoup plus précieuses que l’or.

DE CES ARMES, QUI VEND LESQUELLES AUJOURD’HUI AUX U.S.A. ?

Fusil de chasse juxtaposé :       DIXIE GUN WORKS

EUROARMS OF AMERICA

NAVY ARMS Co.

Fusil des Plaines :                     NAVY ARMS Co.

LYMAN PRODUCTS

CONNECTICUT VALLEY ARMS ( C.V.A. )

Missisipi Rifle 1841 :                DIXIE GUN WORKS

NAVY ARMS Co.

Colt 1847 Walker :                  DIXIE GUN WORKS

ALEN FIRE ARMS

Colt 1848 Dragoon :                ALLEN FIRE ARMS

Colt 1848 Baby :                     ALLEN FIRE ARMS

Colt 1849 Pocket :                  ALLEN FIRE ARMS

DIXIE GUN WORKS

Colt 1851 Navy :                     NAVY ARMS CO.

DIXIE GUN WORKS

ALLEN FIRE ARMS

LYMAN PRODUCTS

Poivrière :                                HOPPE’S

Deringer Philadelphia :  DIXIE GUN WORKS

Single Shot :                            CONNECTICUT VALLEY ARMS ( C.V.A. )

DIXIE GUN WORKS

ALLEN FIRE ARMS

NAVY ARMS CO.

DIXIE GUN WORKS – Gunpowder Lane, UNION CITY, TN 38261, U.S.A.

EUROARMS OF AMERICA – 10, W. Monmouth Street, WINCHESTER, VA 22601, U.S.A.

NAVY ARMS Co. – 689, Bergen Boulevard, RIDGEFIELD, NJ 07657, U.S.A.

LYMAN PRODUCTS – Route 147, MIDDLEFIELD, CT 06455, U.S.A.

CONNECTICUT VALLEY ARMS – Saybrook Road, HADDEM, CT 06438, U.S.A.

ALLEN FIRE ARMS – 1107, Pen Road, SANTA FE, NM 87501, U.S.A.

HOPPE’S – Airport Industrial Mall, COATSVILLE, PA 19320, U.S.A.

Et, puisqu’en fait ces maisons importent de l’Italien, n’oublions pas :

UBERTI – Via Carducci Giosue, 1, 25068 SAREZZO ( BS ), Italie

PEDERSOLI – Via Artigiani, 57, 25063 GARDONE VAL TROMPIA ( BS ), Italie

PIETTA – Via Mandolossa, 102, 25064 GUSSAGO (Bs ), Italie